SAINTE-MARIE

Le jardin de Bossuet et la cathédrale de Meaux

« Sainte-Marie »

Alain Durieux et moi entretenons depuis plusieurs années une correspondance amicale régulière. Nous avons fait toutes nos études ensemble à Sainte-Marie de Meaux. Pourquoi n’ai-je pas écrit plus tôt sur Sainte-Marie ? Alain m’en a fait un jour la remarque. C’était plus qu’une remarque, une demande, un regret, mais certainement pas un reproche.

Je n’ai pas été un grand voyageur, et pourtant je me rends compte que ma vie a été marquée de beaucoup de lieux : Mostuéjouls de mon enfance et de toute ma vie, Meaux pendant mon adolescence et mes études secondaires, Paris que j’ai sillonné tant de fois au volant de la Traction-avant de mes parents entre Neuilly-sur-Seine où ils habitaient et Vaires-sur-Marne. La Bretagne ensuite, Rennes pendant mes années de faculté où j’ai rencontré très tôt Madeleine, Brest pendant mes 3 ans d’Internat, Douarnenez pendant toute ma carrière et au-delà. Il y a même eu l’intermède de l’Algérie pendant de longs mois, les séjours ponctuels et si fréquents en Angleterre où m’entraînait mon épouse, professeur d’anglais, à Plymouth et en Cornouaille. Enfin, l’Espagne pendant 40 ans de séjours répétés et qui est pour nous une deuxième patrie de racines familiales. Bref, en quelques lignes, je viens de résumer toute ma vie et je me rends compte que j’avais en effet oublié Meaux. Alain me l’a rappelé, une ville qui a pour lui tant d’importance puisqu’il y est né, qu’il y a été avocat, Bâtonnier et Maire-Adjoint. Il m’arrive de penser qu’il aurait été mieux placé que moi pour en parler, lui qui écrit si bien. Je crois qu’il avait jugé qu’il manquait quelque chose à mon blog, je vais tâcher d’y remédier.

Le problème, c’est que j’ai quitté Meaux il y a près de 70 ans ! Et si j’en garde des souvenirs personnels très précis, j’ai en même temps oublié beaucoup de choses. Les lieux … ? Le collège était au 41 de la rue de Chaage. Cette rue que coupait la grande courbe à angle droit de la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg. Un danger pour les externes qui devaient traverser la voie et qui auraient dû en principe utiliser le passage souterrain. L’établissement était implanté sur une vaste propriété, en périphérie de Meaux à l’époque… presque à la campagne. Où est-elle aujourd’hui par rapport à la nouvelle ville ? L’entrée se faisait par un portail qui passait sous le vieux bâtiment qui longeait la rue de Chaage. Là se trouvait le parloir au rez-de-chaussée et à l’étage le logement de certains professeurs. Une fois le portail franchi, on laissait sur la gauche le parc de quelques sapins épars. La courbe de l’allée principale nous conduisait à droite jusqu’à la façade du collège. C’était un grand bâtiment rectangulaire de trois étages avec au rez-de-chaussée, la cuisine, la salle à manger, la salle d’étude, au premier étage, les salles de classe et au-dessus les dortoirs. A l’arrière du bâtiment venait se raccorder la nef de la chapelle néo-gothique. Le bâtiment était enfin entouré des cours de récréation et à l’arrière d’un grand verger. Voilà le souvenir que j’en avais gardé.

En vérité, je suis retourné à Sainte-Marie il y a quelques années. Je ne sais plus à quelle date. Je n’étais pas seul. Mais avec qui ? Le Collège était devenu un Lycée mixte. Il y régnait une ambiance décontractée et un joyeux laisser-aller. Les élèves occupaient les marches du perron central. Les garçons flirtaient avec leurs copines. Quand nous nous sommes approchés, ils nous ont regardés comme si nous étions des extraterrestres. Ils nous ont tout de suite convaincus qu’il n’y avait plus grand chose à voir avec ce que nous avions connu. La Chapelle avait été aménagée en centre de documentation. Le verger était devenu un vaste terrain de sport. En gros et dans le détail, Sainte-Marie avait disparu, ou presque.

Je n’étais pas venu à ce rendez-vous avec de grands espoirs. Je savais que j’avais bien peu de chance de revoir certains de ceux qui avaient beaucoup comptés pour moi et pour nous. Je ne reverrais pas sur le haut du perron la silhouette du Père Supérieur dont j’avais appris la mort lorsque j’étais en Algérie, ni le Père Taroux drapé dans sa grande cape noire, ni même notre professeur de Sciences Naturelles, Monsieur Genève, tout droit sorti d’un album de Tintin avec sa petite taille et sa longue blouse grise qui lui descendait jusqu’aux mollets. Ils n’étaient plus là. D’une certaine façon, tout ce qui faisait le charme et la qualité de Sainte-Marie d’alors, tout avait disparu à mes yeux. Je n’ai eu qu’une hâte, c’est de partir et je savais que je n’y reviendrais plus.

A.B.
Été 2021

La classe de rhétorique !


« Fêtes et Culture »


Départ en excursion

Les souvenirs de Sainte-Marie me reviennent, mais un choix s’impose. Je vais peut-être commencer par les plus faciles à raconter, ceux qui sortent de l’ordinaire. Deux fêtes exceptionnelles étaient célébrées au cours de l’année scolaire. La fête du collège, la Sainte-Marie, le 8 décembre, jour de l’Immaculée Conception, et vers la fin de l’année, la fête du Père Supérieur, qui s’appelait Pierre.

Dans les années qui ont suivi immédiatement la guerre, ces fêtes se limitaient à peu de chose, une dispense de cours pendant toute la journée ; le matin, une grand-messe ; à midi un menu amélioré avec un gâteau au dessert et le droit de parler pendant tout le repas. Au total, une journée de temps libre, mais l’après-midi dans la salle des fêtes, nous avions droit en général à un film ou à une conférence. La plus mémorable fut certainement celle du Père Cassan*, missionnaire, qui venait d’être expulsé de Chine où il avait passé 25 ans de sa vie. Il y avait vécu les heures récentes les plus tragiques de l’histoire de ce pays, et notamment l’instauration brutale et sanglante du régime communiste par Mao. Son témoignage fut passionnant et bouleversant. A la fin de sa conférence, après un temps de silence, il se leva et récita le Notre Père et le Je Vous Salue Marie en chinois. Ce fut un grand moment d’émotion pour lui et pour nous tous.

Au fil des ans, la situation économique du pays allait en s’améliorant. Les jours des fêtes ont connu un regain de solennité. Des excursions en autobus ont été organisées. Les départs avaient lieu le matin après le petit-déjeuner. Le pique-nique était pris sur place. Le retour se faisait en fin d’après-midi. J’ai le souvenir précis de quatre excursions :

La première fut la visite de l’imposant château de Pierrefonds, restauré par Viollet Le-Duc, avec sur le chemin du retour une étape à Ermenonville à l’heure du repas. Ermenonville où Jean-Jacques Rousseau a écrit ses dernières œuvres et où il est mort. Il a été inhumé dans l’île des Peupliers avant que ses restes ne soient transférés au Panthéon. Après-midi de détente à la Mer de Sable qui était à l’époque une étendue sauvage, vierge de tous les parcs d’attraction qui y ont été implantés et qui ont défiguré le site. Je n’ai plus en mémoire la chronologie des excursions qui ont suivi. Il y a la visite du château de Fontainebleau suivi du repas en forêt, une excursion à Reims avec le matin la visite de la Cathédrale et l’après-midi des caves de champagne Pommery, et enfin une sorte de pèlerinage au fort de Douaumont avec la visite de l’Ossuaire et du cimetière militaire. Au retour nous avons eu droit à un moment de détente sur le circuit folklorique du petit chemin de fer à vapeur de Montmirail. Y a-t-il eu d’autres excursions, Chantilly ? Vaux le Vicomte ? Versailles ? Le Louvre ? … Mes souvenirs se mélangent. Une visite est certaine, celle de la cathédrale de Chartres avec le Père Taroux lorsque nous étions en seconde. Il en reste une très belle photo ci-jointe. Ces sorties en tout cas en disent long sur le goût que nos professeurs avaient d’élargir notre horizon culturel.

Et ce n’est pas tout, car il y a eu aussi le TNP. Le Théâtre National Populaire du Palais de Chaillot était à son zénith. C’était la grande époque de Jean Vilar, de Gérard Philippe, de Georges Wilson et de Maria Casarès. Nous avons assisté à quatre représentations, le Cid, puis Hamlet et Richard II de Shakespeare et enfin Oedipe Roi de Sophocle. L’école avait peut-être bénéficié d’un abonnement promotionnel pour quatre représentations, ce qui était dans l’esprit du TNP ? Ces représentations étaient exceptionnelles. Il y avait d’abord la dimension impressionnante pour nous de la salle du Palais de Chaillot, ensuite l’expression théâtrale de ces œuvres dans un décor moderne et sobre et enfin et surtout, la voix de tous ces acteurs, le timbre si particulier de Gérard Philippe, la voix forte de Georges Wilson et la voix grave de Maria Casarès. J’ai encore dans l’oreille le son de leur voix, c’est un souvenir inoubliable.

N’allez surtout pas croire que nous étions élèves d’un établissement de luxe. Nous assistions aux représentations au Trocadero le dimanche après-midi. C’était une véritable expédition. Notre Supérieur et notre Économe étaient équipés chacun d’une Citroën Traction Avant. Des modèles de 7 ou 9 cv qui n’avaient rien à voir avec les grosses cylindrées d’aujourd’hui. Nous partions de Meaux après le repas de midi. Nous étions cinq à l’arrière entassés comme des sardines. Les ceintures de sécurité n’existaient pas, ni les radars. Nous avions connu des époques plus difficiles et nous étions capables de supporter beaucoup de choses. Au fond de nous, nous étions heureux de bénéficier de tout ce dont nous avions été privés jusque-là.

Je ne voudrais pas terminer ce chapitre sur une note sérieuse. Chaque événement recèle un épisode comique. Un dimanche sur la route du Trocadero, nous avons croisé un auto-stoppeur. En fait, nous sommes passés devant lui tellement vite que nous ne l’avons pas vu. Le P. Taroux qui était assis à l’avant et qui était l’incarnation vivante de la charité chrétienne en a fait la remarque au P. Leroux qui était au volant. Coup de frein immédiat. Marche arrière. Nous arrivons aux pieds de l’auto-stoppeur qui venait d’acheter des médicaments à la pharmacie de garde pour sa femme. Nous l’invitons à monter. Il nous fait signe qu’il n’y a pas de place. “Mais si, mais si !” Il rentre en rampant dans l’habitacle, à plat ventre, au-dessus des voyageurs. Son dos touchait le plafond de la voiture et nous avons dû baisser la vitre arrière pour ses pieds. On repart. Nous traversons un premier village, puis un deuxième. Il nous fait signe qu’il est arrivé. Vrai ou faux ? Je crois qu’il n’en pouvait plus, nous non plus. Il sort en rampant à reculons. Une fois sur le trottoir, il commence par s’ébrouer pour remettre de l’ordre dans ses vêtements. Nous démarrons en trombe, sous son nez et sur les chapeaux de roues. Il nous a regardé partir, convaincu qu’il venait de vivre au péril de sa vie, en direct et en accéléré, la version KTO des “fous du volant”.

                                                                                                                                                  A.B.

*Le Père Cassan était originaire du village de Pailhas, dans la vallée du Tarn, entre Rivière-sur-Tarn et Aguessac.


“Alleluia…!!”

A Sainte-Marie de Meaux, le maître de chapelle avait créé une chorale qui prit le nom des “petits chanteurs de Sainte-Marie”. C’était dans les années 50, les manécanteries revenaient à la mode. Un voyage en Belgique fut programmé, ponctué chaque jour d’un concert dans les principales villes du pays, Anvers, Bruges, Gand, Namur, Dinant, Liège… Nous avons donc appris la Brabançonne. Nous étions en tout une quarantaine. Nous étions reçus en famille tous les soirs. Nous sortions tout juste des années difficiles de l’après guerre et faire un voyage à l’étranger était déjà en soi pour chacun de nous un événement hors du commun. Le jour du départ lorsque nous avons vu arriver notre autobus rutilant, de couleur vert tendre et aux lignes profilées, nous avons réalisé que nous étions vraiment en train de changer d’époque.

A Anvers, après le concert donné en fin d’après-midi, nous avons été reçus à plusieurs chez un notable de la ville. Maison cossue, salle à manger spacieuse, menu savoureux, personnel de service, enfin une réception raffinée. Nos hôtes, entre 40 et 50 ans, s’exprimaient entre eux en flamand et avec nous dans un français teinté d’un fort accent local. J’avais comme voisin de table un camarade dont j’ai longtemps su le nom, je l’ai oublié aujourd’hui. Il était connu pour ses gaffes et son vocabulaire cru et assez peu académique. Voilà qu’au milieu du repas et sans doute pour combler un vide, l’idée lui est venue d’intervenir dans la conversation. En articulant bien pour être compris de nos hôtes, il crut judicieux de poser la question suivante :

“Est-ce que l’Alleluia de Haendel vous a plu ?”

La question a fait l’effet d’une bombe. Nos hôtes se sont regardés interdits, se sont concertés à voix basse dans leur langue. On a tout de suite senti comme un malaise. Finalement, la maîtresse de maison debout a fait de la main un geste à mon voisin pour l’inviter à la suivre. Il est sorti de table derrière elle et quelques instants après on l’a vu revenir un peu gêné. Il s’assoit à côté de moi et je lui demande : « Ça va ?” il me répond : “Enfin si l’on veut… Je ne sais pas ce qu’ils ont compris mais elle m’a emmené aux toilettes… !”

La réponse fit le tour de la table provoquant un éclat de rire général qui stupéfia nos hôtes et détendit l’atmosphère un peu guindée de notre repas. Ce fut la cerise sur le gâteau !


“Histoire…et Souvenirs”

« Le Petit Sem » – Fin du XIXème Siècle ou début du XXème

L’Histoire et les souvenirs sont les fruits de notre mémoire. L’Histoire résulte d’un travail de recherche objectif et minutieux. Les souvenirs comprennent une part de vérité et une part de flou. Ils sont subjectifs et personnels. Ces quelques chapitres sur Sainte-Marie en sont le reflet.

Sainte-Marie de Meaux a une longue histoire. Il y a 150 ans, Sainte-Marie était un petit séminaire dont on retrouve des photographies anciennes sur internet : élèves en uniforme, casquette et pèlerine ; surveillance et encadrement en cour de récréation par des prêtres en soutane et rabat, coiffés de leur barrette noire. C’était une autre époque. Aujourd’hui Sainte-Marie est un lycée mixte de garçons et de filles, catholique et civil, de plus de 1000 élèves.

Qu’est-il devenu entre ces deux époques ? Comment l’établissement a traversé la dernière guerre ? A-t-il continué de fonctionner ou a-t-il été réquisitionné par les Allemands ? Aujourd’hui, de là où je me trouve, j’aurais bien du mal à faire une enquête sur ce sujet. Une chose est certaine, mon frère Philippe et moi avons été chassés par les Allemands des deux établissements privés où nous étions pensionnaires. Du P.I.C. à Béziers dès 1943, après l’invasion par les Allemands de la zone Sud, et du Sacré-Cœur à Millau vers la fin de la guerre dans le contexte du désastre du front de l’Est et des menaces de la Résistance.

Immédiatement après la guerre lorsque nous sommes arrivés à Sainte-Marie, les bâtiments n’avaient guère changé par rapport aux photos du début du siècle : le grand bâtiment rectangulaire central avec son perron d’accès, les cours de récréation latérales, la chapelle et son vaste potager à l’arrière. Tout cela a en grande partie disparu aujourd’hui pour laisser place à des équipements modernes plus adaptés.

En 1945, Sainte-Marie était devenu un collège de garçons de 200 à 250 élèves, pensionnaires en grande majorité. On y trouvait une poignée de petits séminaristes, une dizaine, qui valait à l’établissement d’être parfois désigné sous le nom de “Petit Sem”. Le collège avait été confié à des prêtres séculiers. Le supérieur en était le chanoine Pierre Leroux. Les enseignants se partageaient en deux groupes : une douzaine de prêtres pour le français, le latin et les langues, et quelques civils pour les matières scientifiques et les mathématiques, ceci à quelques nuances près. C’était donc un établissement de taille moyenne, pour ne pas dire de petite taille, qui nous permettait d’avoir des contacts de proximité avec nos enseignants, et de vivre certes dans une certaine discipline mais dans un très bon climat de confiance.

Aujourd’hui, on manque de prêtres. Dans la région où je me trouve, on compte un prêtre pour douze paroisses. Les remplaçants sont souvent des prêtres à la retraite ou originaires d’Afrique ou de Madagascar. Il va de soi que la présence de douze prêtres ou plus dans un collège lui donnait tout naturellement un caractère religieux. Chacun d’entre eux célébrait la messe le matin. Pour nous la présence aux offices n’était pas obligatoire mais à tour de rôle nous allions servir la messe et ce n’était pas à vrai dire une contrainte. Bien plus, dans ce collège, quelques-uns d’entre nous avaient la charge et la responsabilité de la Sacristie. C’était une très grande marque de confiance. Il fallait tous les jours préparer les ornements sacerdotaux et les objets du culte pour les offices religieux. D’autres étaient affectés à la Liturgie pour certaines cérémonies, la grand-messe du dimanche parfois avec Diacre et sous-Diacre, les vêpres, les cérémonies de la Semaine Sainte. Parmi de nombreux souvenirs, notre participation aux cérémonies du tricentenaire de Bossuet, présidées à la Cathédrale de Meaux par le cardinal Roncalli, Nonce apostolique et futur Pape Jean XXIII. D’autres enfin appartenaient à la chorale qui assurait les chants grégoriens. En réalité, on peut mesurer que la religion faisait concrètement partie de notre vie de tous les jours.

Je devine que ce que j’écris va provoquer de l’étonnement chez certains. Il est habituellement de bon ton de dire que l’on a perdu la Foi pendant sa jeunesse, dans l’établissement privé où l’on a fait ses études. Cela arrive. Comment le nier ? Mais ce dont je témoigne mérite d’être situé dans son contexte. La guerre avait été une période de profonde confusion politique. L’Eglise avait connu le trouble, l’hésitation et commis des erreurs, mais le clergé avait souvent donné l’exemple. Comment ne pas citer les prêtres morts au combat ? Un parmi eux, l’abbé Jean Garlenq, natif de Mostuéjouls, mort sur les pentes du Monte Cassino en Italie. Comment oublier tous ces religieux et toutes ces religieuses qui au péril de leur vie ont caché dans leurs établissements des enfants juifs traqués par la Gestapo, leur évitant la déportation et la mort. L’un des anciens professeurs de Sainte-Marie, l’abbé Maurice Rondeau, témoin et victime de sa Foi, a été déporté à Buchenwald. Il est mort à bout de forces dans la longue marche que les nazis ont infligée aux déportés lorsqu’ils ont évacué le camp à l’approche des troupes américaines. Calvaire qui a coûté la vie à des centaines et des centaines de déportés épuisés. Chez les adolescents que nous étions, ces exemples avaient certainement un impact sur notre rapport avec l’Eglise et la Religion. A vrai dire, à cette époque, nous avions quelques bonnes raisons d’être fiers de notre Clergé.

Chaque période de la vie a de l’importance. A l’adolescence tout compte, y compris le souvenir des restrictions alimentaires. Nous traversions encore des années de pénurie, même si notre Econome entretenait les meilleures relations possibles avec les fermiers de la région. Le matin au petit-déjeuner, un bol de café au lait avec un morceau de pain. Pas de beurre. Certains camarades issus de grosses fermes de la Brie avaient la gentillesse de mettre leur motte de beurre sur la table à la disposition de leurs voisins. C’était un cadeau royal. Pour le goûter à quatre heures, nous avions droit à un morceau de pain dont la distribution se faisait sur le perron de la cour de récréation. Alignés sur deux rangs, nous montions deux par deux jusqu’à la grande corbeille où se trouvaient les morceaux de pains, inévitablement de taille inégale. La distribution commençait. Tristesse de ceux qui héritaient d’une petite part, sourire de satisfaction de ceux qui avait la chance d’avoir une part de bonne taille. Il y a longtemps que je ne raconte plus cette histoire à mes petits-enfants. Pour eux, c’est tout simplement inimaginable.

Mais nous avons connu des jours heureux. Par ses dimensions humaines et son pensionnat, Sainte-Marie a été un creuset à l’origine de profondes amitiés et un lieu de grande camaraderie. Nous étions peu nombreux en classe. Nous étions très proches les uns des autres, par notre travail, notre vie commune, et nos espiègleries. La vie nous a dispersés mais des photographies nous restent. Sur les marches de la Cathédrale de Chartres, autour du P. Taroux, neuf d’entre nous sont réunis : Alain Durieux, Georges Robin, Pierre Leguidcoq, Michel Leroy, Guy Delorme, Benoît Kowalski, Michel Doumeizel, mon frère Philippe et moi. Je pense encore à d’autres dont je n’ai pas la photographie. Que sont-ils devenus ? Je sais bien que ce travail de mémoire accompli avec la complicité d’Alain Durieux aura ses limites. Il faut en accepter le principe. Il y a ceux qui sont toujours là et il y a les manquants. Parmi eux, Guy Delorme qui a été pour moi un ami très cher. Il a été le parrain de ma fille Anne. Il est mort jeune et sa si charmante épouse Cécile quelques années après lui. Un drame irrémédiable pour leurs enfants et leurs proches. C’est sur le souvenir douloureux, qu’avec émotion, je veux terminer ces pages sur Sainte-Marie.

                                                                                                                        Mostuéjouls 2021

                                                                                                                                            A.B.



Abbé Maurice Rondeau (1911 – 1945)

Educateur, prêtre, martyr – L’article complet peut être lu ici

Le 20 juin 2025, le dicastère pour les Causes des Saints a publié un décret signé du Pape Léon XIV reconnaissant le martyre de 50 jeunes catholiques français, jocistes, scouts, religieux, prêtres, victimes du régime nazi, en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Âgés de 19 à 46 ans, ils ont été arrêtés, déportés et sont morts en raison de leur attachement au Christ, à la foi catholique et à l’Eglise : ils sont « martyrs de l’apostolat ». N’oublions pas le décret Kaltenbrunner du 3 décembre 1943 qui avait interdit toute activité apostolique auprès des travailleurs civils français en Allemagne.

Après la guerre, ces nombreux martyrs, dont fait également partie Marcel Callo, béatifié le 4 octobre 1987, tombent dans l’oubli. Il est temps aujourd’hui de reconnaître leur héroïsme et leur témoignage de vie chrétienne dans des conditions particulièrement difficiles : « Il faut que les Églises locales fassent tout leur possible pour ne pas laisser perdre la mémoire de ceux qui ont subi le martyre, en rassemblant à cette intention la documentation nécessaire. » (Jean-Paul II, Tertio millennio adveniente, 10 novembre 1994, n°37)

Parmi ces 50 figure l’abbé Maurice Rondeau, prêtre du diocèse de Meaux, que Mgr Louis Cornet, évêque de Meaux, a choisi en 1989 pour titulaire du collège lycée nouvellement créé à Bussy-Saint-Georges.

Excellent éducateur, Maurice Rondeau écrit dans ses carnets spirituels : « M’appliquer à voir en l’âme de chacun des enfants qui me seront confiés, ce mieux-être de grâce et de foi. M’appliquer pour cela à les connaître et à trouver en chacun, ce en quoi il est le reflet de la beauté divine, la vertu que la grâce épanouit ou tend à épanouir en lui. Cette contemplation me sera d’un grand profit et m’aidera à leur faire plus de bien. Les connaître, louer Dieu de leurs vertus, essayer de développer ces vertus et de les corriger de leurs défauts contraires ; les respecter, (familiarités, jeux), manière de leur parler. » (Août 1936)

« Chacun d’entre nous à sa vocation propre, son rôle à jouer dans la création, où personne ne pourra le remplacer ! Le monde serait bientôt changé si tout être humain était convaincu qu’il joue un rôle unique dans la grande scène de la vie, qu’il est une note indispensable dans le concert de la création, que s’il néglige de répondre à l’appel qu’il a personnellement reçu, il y aura un vide, un trou, là où devait figurer son action. »

Etudiant à l’ICP, il emmène les jeunes en colonie de vacances à Gillorgues (Aveyron). Dans ses journées bien remplies, il fera de sa fidélité à l’oraison, au bréviaire, à la messe quotidienne un combat qui sera la source de la fécondité de son apostolat. Professeur, surveillant ou directeur de colonie, nombreux sont les jeunes qui viennent spontanément vers lui, dès qu’il ouvre la porte de son bureau.

Depuis http://www.catho77.fr


Adieu …

Paul Besnard est décédé le 25 novembre 2021 victime du COVID-19. Il a été un ami d’internat à Sainte-Marie pendant plusieurs années. C’était un grand garçon simple, sympathique, attaché à sa terre. Il figure dans ce blog sur une photo de groupe, devant les cars qui nous emmenaient en excursion. La vie nous a éloignés mais par son fils, des informations précieuses nous sont parvenues sur lui. Il a été Maire de Cuisy pendant 37 ans, réélu à 6 reprises, réalisant une modernisation et une transformation profonde de sa ville. Une photo récente nous le montre avec ses cheveux blancs, sous les traits d’un homme bon, attentif, serein. Sérénité qui est le fruit d’une vie personnelle, familiale, professionnelle et sociale réussie, comme en témoigne avec émotion son fils Frédéric qui lui succède à la Mairie de Cuisy. Ces quelques lignes sont destinées à exprimer notre fierté pour son parcours, notre tristesse et notre sympathie à tous les siens.