Mostuéjouls, fragments d’Histoire

La Peste à Mostuéjouls

Grâce à un dossier rudimentaire réalisé à partir des Archives Départementales de l’Aveyron, un lot d’informations nous est parvenu sur notre histoire locale. Ce dossier entièrement manuscrit est divisé en chapitres sur différents sujets : les Seigneurs de Mostuéjouls, la Religion, les Églises, les Écoles … L’un d’entre eux a particulièrement retenu mon attention : il porte sur la peste à Mostuéjouls.

La peste est célèbre en littérature mais elle a surtout été un fléau mondial qui, au fil des siècles, a fait des ravages considérables dans la population du globe. On garde dans notre Histoire, le souvenir de la Grande Peste, encore appelée la Peste noire, à la fois bubonique et respiratoire, qui a sévi tout au long du XIVème siècle. Introduite par la mer dans les pays méditerranéens, l’Italie, la France, l’Espagne, elle a essaimé ensuite vers les États du Nord, l’Angleterre, la Scandinavie et jusqu’en Europe centrale. On estime qu’elle a provoqué la mort de 25 millions d’individus, soit le tiers de la population européenne de l’époque.

Pour autant, au cours des siècles suivants, la peste s’est manifestée ici ou là par des épidémies régionales qui ont décimé de façon récurrente les populations locales. Six épidémies ont été enregistrées dans le Rouergue au cours de la première moitié du XVIème siècle. Plus tard, la peste s’est déclarée à Mostuéjouls dans les années 1586-1587. Était-elle bubonique ou uniquement respiratoire ? Le texte n’apporte pas de précisions sur sa forme. En revanche, il permet de suivre sa durée et son trajet. Elle a débuté à Mostuéjouls en décembre 1586, date du premier décès. Son point culminant se situe aux mois de mars et avril 1587 où est consigné le plus grand nombre de décès et de testaments. Au cours de l’été, elle gagne Liaucous et Comayras, les deux villages voisins de Mostuéjouls, distincts mais unis par de nombreux liens de parenté. Elle s’éteint enfin spontanément vers la fin de l’année 1587.

La peste de Mostuéjouls a été terriblement meurtrière. « Elle a anéanti des familles entières » selon le texte. Puis, elle s’est engouffrée dans la vallée du Tarn jusqu’à Millau où l’on a déploré 4000 morts et parmi eux, nombre de Notables, Médecins et Apothicaires… (d’après Jules Artières, A la Recherche de l’identité de l’Aveyron, p.72)

L’intérêt du document sur la peste de Mostuéjouls est multiple. D’abord, il nous fait toucher du doigt l’impact psychologique que cette épidémie a eu sur la population. A travers les nombreux cas relatés, on devine qu’un véritable état de panique s’est emparé du pays. Aujourd’hui, on parlerait de psychose à la lumière de ce que nous avons récemment vécu. La peste est terrifiante, sa contagiosité extrême. Les gens, infectés ou non, savent la maladie incurable et mortelle. Nous sommes au XVIème siècle. Il n’y a rien à espérer ni des médecins ni de la médecine. Il n’y a ni médicament ni encore moins de vaccin. C’est pourquoi en dehors de la peur de mourir et du malheur de voir disparaître l’un après l’autre enfants et conjoint, la seule chose qui reste et qui compte, c’est le bien que l’on possède, sa maison, ses meubles, ses terres. L’important est de les mettre à l’abri. L’unique façon de les sauver est de les léguer à ses héritiers, à ceux qui auront la chance de survivre. Dans l’urgence, il faut donc faire son testament, il faut « tester ».

« Les minutes de Maître Aigouy, notaire royal de Boyne, contiennent de nombreux testaments des pestiférés et des pestiférées qui testaient. Il ne recense que la minorité des victimes de ce fléau. En effet, ne testaient que ceux qui étaient en âge de le faire et qui avaient quelque chose à léguer. Et même parmi ceux-ci, combien devaient être emportés sans avoir eu le temps de dicter leurs dernières volontés. »

Nous n’avons pas connaissance du contenu de ces testaments, sans doute répertoriés aux Archives notariales de l’Aveyron mais nous savons à l’avance qu’ils devaient être un sinistre catalogue de l’extrême misère des gens de ce temps-là. Seule nous est parvenue dans le désordre la liste des habitants du village, pestiférés ou non, qui ont choisi de tester. Elle exprime leur désarroi, leur désespoir et la nécessité pour eux de sauver à tout prix leur modeste patrimoine. Tous ces écrits ont été précieux sur le plan historique, ils ont permis d’avoir connaissance de cette épidémie et de pouvoir en suivre l’évolution jusqu’à son terme.

Voici quelques extraits de cette liste :

  • Guy Alméras considérant le temps de la peste et maladies contagieuses qui courent journellement au dit Mostuéjouls teste le 24 avril 1587.
  • Teste au même lieu Albert Martin, qui craint d’être infecté, son père étant mort de la peste.
  • La femme Collière de Mostuéjouls, craignant de mourir de la peste, teste le 28 mars 1587.
  • Jean Badaroux, craignant que la peste soit sur lui, teste en avril 1587.
  • Privat de Mostuéjouls, craignant d’être malade de peste, teste le 17 avril.
  • Crouzière, veuve Garlenc mort de la peste, à cause de la pestilence, teste le 28 mars.
  • Jean Julien de Comayras a vu sa femme et son fils décéder de peste et teste le 25 avril 1587.
  • Etienne Barthélemy de Liaucous, âgé de 19 à 25 ans se voyant affligé de peste teste le 12 septembre 1587.
  • Aldias, de Cèze, et sa femme testent à la Liaucounaise, craignant d’être surpris par la peste.

Ailleurs sont décrites des scènes d’affolement :

  • Paturel, se voyant de tous côtés, entouré de peste teste à Liaucous le 29 juillet 1587.
  • Masol, voyant de tous côtés la peste courir teste.
  • La femme Ricard, de Cèze, se craignant infectée de la maladie de peste, d’autant que l’un de ses jeunes fils qu’elle a eu, a un bras gravement blessé, teste le 16 août.
  • Jean Baudounet, considérant la maladie contagieuse de peste qui court en cette rivière du Tarn où sa femme est décédée, se craint d’être infecté pour y avoir « sépulturé » sa femme.
  • François Baldous, qui a perdu son fils de la peste, a peur d’être surpris lui-même par la contagion et manifeste des inquiétudes vis-à-vis de son voisinage, de ses « circumvoisins ». Il teste le 15 avril 1587.

Isolés en quarantaine et désemparés, certains appellent à l’aide mais le danger paralyse les individus.

  • Etienne Vergnes, dit Sanchou, de Mostuéjouls, en quarantaine à son domicile, se montre à sa fenêtre. Mais considérant les risques de contagion, ni le notaire ni les témoins ne veulent approcher des gens de Mostuéjouls.
  • G. Froment de Mostuéjouls, déclare que sa femme Jeanne Layrolle, est morte de la peste et qu’il n’y a eu aucun notaire pour recevoir son testament. Des habitants, pris à témoin, affirment que Jeanne Layrolle est morte le 15 avril 1587, qu’elle a fait connaître ses dernières volontés, les priant d’être  » mémoratifs « .
  • Une pestiférée de Mostuéjouls se traîne jusqu’à la fontaine et y teste le 28 mars 1587 avant de mourir.

Certains s’éloignent du foyer d’infection jusqu’aux villages troglodytes d’Eglazine et de Saint-Marcellin.

  • Marie Pourquier considérant la pestilence qui est au dit Mostuéjouls et dont elle pourrait être surprise teste à Saint-Marcellin le 28 mai 1587.
  • Julien de Comayras craignant la maladie de la peste qui est au dit Comayras teste à Saint-Marcellin le 24 avril 1587.

Chassés de leur domicile ou de leur village, il existait pour les malades des mesures d’isolement collectif. Dans le Midi, étaient installées des structures isolées appelées  » infirmerie de peste  » où l’on regroupait les pestiférés et où ils pouvaient tester. Ces structures étaient brûlées à la fin de l’épidémie.

  • Plusieurs pestiférés de Mostuéjouls se rendent au Moulin de la Galinière pour tester. Y avait-on installé un refuge ? Rien ne le dit, mais c’est probable.
  • Marguerite Coste, teste à mi-chemin entre Boyne et Mostuéjouls. Peut-être était-ce à l’emplacement du Moulin de la Galinière et de cette infirmerie ?

Il y a eu des femmes courageuses, en particulier celles que l’on désigne sous le nom de « curatrices » et de « désinfecteresses » qui par nécessité, entraient en contact avec les familles infectées. Selon une étude conjointe des Facultés de Médecine de Bordeaux, Marseille et Montpellier sur la prophylaxie de la peste, la liste des mesures de prévention était longue : isoler les malades ou leur famille, marquer les maisons, nettoyer les rues, abattre les animaux errants, porter des amulettes antipesteuses, utiliser des substances odoriférantes à base de choux, de coing, d’essence de genièvre, porter un habit qui couvrait tout le corps ou à tout le moins un masque. Ici ou là on a eu parfois recours à des cordons sanitaires contre les fuyards. On le devine, toutes ces mesures n’avaient qu’une efficacité dérisoire. Pour cela, il faudra attendre L. Pasteur et A.Yersin à la fin du XIXème siècle. Les curatrices s’exposaient certainement au pire mais on n’en parle guère. Quelques exemples :

  • Catherine Libourel qui est au lit, affligée de peste, est exhortée par la curatrice et désinfecteresse à tester. La curatrice le fait à la place de la fille Libourel, âgée de 23 ans.
  • Jean Monestier, veuf de Catherine Libourel, qui a aussi perdu sa fille, demande de se retirer quelque part, le temps de désinfecter sa maison.
  • La veuve de Luc Canac, qui a perdu son mari, son fils et sa belle-fille morts de la peste, a dans sa maison des meubles qu’elle ne peut retirer à cause de l’infection et demande de l’aide.

Tous les gestes de solidarité ne sont pas désintéressés.

  • Despuech, de Mostuéjouls, se sentant blessé de contagion, ne trouve personne pour recevoir son testament. Deux témoins déclarent qu’il sortit à sa fenêtre et qu’il nomma David de Mostuéjouls, Seigneur du lieu comme héritier universel le 30 avril 1587. Le Seigneur héritier demanda acte de leur déclaration le 22 mai.
  • Brunette de Lautrec, femme de David de Mostuéjouls, fait certifier par trois témoins que Frayssette, veuve de P. Lacan atteint de la peste, déclare que son mari devait à ladite dame certain argent, argent qu’elle avait avancé pour la sépulture dudit Lacan. Frayssette pour s’acquitter, donna en paiement une terre (le 22 mai 1587).
  • David de Mostuéjouls souscrit à Jean Truel et à sa femme deux écus pour la désinfection de leur maison (16 mars 1587).
  • Lassale voit sa femme et sa sœur mourir de peste et n’ayant de quoi les faire enterrer, le Seigneur de Mostuéjouls les fait enterrer et lui fournit des vivres, le tout pour un cent de sols (20 avril 1587).
  • Madeleine Lavabre voyant sa sœur être ce jour présent décédée de peste et n’ayant aucun moyen de la faire ensevelir ni de se nourrir, David de Mostuéjouls fait enterrer la pestiférée et fournit des vivres à ladite Madeleine pour un cent de sols.

On peut aussi relever quelques mentions plus originales et moins tristes :

  • La femme de P. Vidal dit « Troupillou », de Mostuéjouls, dit qu’à cause de la maladie contagieuse, ils n’osent se mettre ensemble … une façon élégante de dire les choses.
  • Testent au Moulin de la Galinière la veuve de Guillaume Gras, le 2 mai 1587, et sa fille Catherine Grasse (sic !) le même jour.
  • Guillaume Baudounet teste le 07 mai 1587 mais il échappa à la mort puisqu’il fit « canceller » son testament en mai 1589.

Fin de l’épidémie et dernier testament noté :

  • Le 20 septembre 1587, Maître Aigouy, notaire, reçoit un acte dans une maison de Mostuéjouls. On peut en conclure que la peste est en voie de disparition.
  • Catherine Artières, veuve de feu Jean Forestier craint d’être infectée pour avoir soigné son feu mari mort un de ces jours teste le 3 décembre 1587.

Là s’arrête le récit de la peste de Mostuéjouls et de Liaucous des années 1586-1587. Ce texte donne beaucoup de détails mais il ne dit rien ni de l’Église ni des prêtres, or il était habituel que l’Église et le clergé se manifestent dans de telles circonstances, par des Messes, des prières, par des processions religieuses contre la peste considérée comme une manifestation du  » Courroux de Dieu  » et par la sonnerie du glas. La religion occupait tellement de place dans le quotidien des gens à cette époque. Rien non plus sur les fossoyeurs au rôle ingrat, dangereux et indispensable, des hommes qui ont souvent payé leur courage de leur vie.

Cette peste a été suivie dans le Rouergue de deux autres épidémies en 1628-1630 et en 1652-1653, toutes aussi meurtrières. Puis elle a disparu (Jean Delmas, in Vitalité contrariée). Elle a été remplacée par des épidémies mixtes, d’origine infectieuse, dysenterie et tuberculose, et d’origine alimentaire, liées à la famine, aux pénuries, à la misère. Elles ont sévi tout au long du XVIIème siècle et ont été toutes aussi dévastatrices que les précédentes. On les a appelées parfois « des pestes populaires » et plus souvent « des maladies populaires » en raison de leur impact sur le peuple et sur les pauvres.

Ce dossier sur la peste de Mostuéjouls et de Liaucous est à la fois émouvant et passionnant. Il émane des Archives Départementales de l’Aveyron mais a été compilé au XIXème ou au XXème siècle par un auteur dont l’identité est mal connue. Je n’ai fait que remettre un peu d’ordre dans ce document. Je l’ai transcrit en français moderne pour le rendre plus facilement lisible mais je lui ai laissé son parfum de vieux français pour lui garder son caractère authentique.

Fait à Mostuéjouls le 14 juillet 2023, Alexis Baldous


« La Peste de Liaucous »

Ce titre est sujet à caution, car sauf leur nombre de morts, il n’y a pas de véritable parenté entre la peste de Mostuéjouls de 1586 et celle dite de Liaucous qui a sévi en 1658, près d’un siècle plus tard. D’ailleurs notre source d’information aux Archives départementales de l’Aveyron commence par cette interrogation : « Était-ce la Peste ? ». Leur seul point commun est leur terrible mortalité.

On admet en général que la peste s’est progressivement éteinte en Languedoc et en Provence au milieu du XVIIe siècle. Si le « Grand Siècle » de Louis XIV et de Versailles a été un temps de richesse sur le plan architectural et artistique, ne le regrettons pas, n’oublions pas non plus qu’il a été un siècle de très grande misère populaire. Elle sévissait d’ailleurs en France de façon endémique depuis toujours. Elle a été à l’origine de vagues ininterrompues d’épidémies qui ont dévasté le pays pendant des décennies. On a appelé ces épidémies des « pestes populaires » puis ultérieurement des « maladies populaires » car elles affectaient le peuple, les malheureux, les pauvres. L’épidémie de Liaucous entrerait dans ce cadre.

Les épidémies prennent donc leur origine dans un contexte historique de misère et de pauvreté, mais dans « Vitalité contrariée » Jean Delmas en souligne leur caractère mixte infectieux et alimentaire.

Pendant des siècles, les maladies contagieuses ont pu se répandre sans rencontrer la moindre barrière qui puisse entraver ni leur apparition ni leur évolution. Au contraire tout y était favorable et il faudra attendre le XIXe siècle et la découverte des vaccins pour que les choses changent. Jusque-là certaines maladies touchaient d’ailleurs autant les riches que les pauvres. Le Roi Louis XV lui-même a été terrassé par la variole en quelques jours. Cette affection redoutable, imprévisible, terrorisait le peuple. Grâce au vaccin antivariolique, elle est aujourd’hui éradiquée de la planète. Les maladies qui se transmettaient par voie aérienne étaient les plus contaminantes. Parmi elles la diphtérie et le croup, elles aussi disparues grâce à la vaccination. Les autres les plus courantes exposaient parfois les adultes à des complications mortelles, elles étaient surtout un facteur de morbidité chez les enfants et les adolescents. La Tuberculose, vieille comme le monde, était la plaie de certaines familles et des milieux les plus défavorisés. En définitive la Médecine a été pendant des siècles d’une totale indigence. Comme Molière en a si bien fait la critique et la satire, les médecins masquaient leur ignorance derrière un galimatias de formules ténébreuses en Latin. Les soins se résumaient à de la magie, à des prescriptions inutiles et dangereuses. On mourait jeune et la vie n’était le plus souvent qu’une litanie de drames et de souffrance.

Les causes alimentaires ouvrent un autre chapitre. Au sommet de ces causes, les guerres, les guerres de religion, les pillages, les incendies, les vols, les destructions de récolte et des calamités sources de pénurie et de famine. Le pays, la campagne surtout, souffraient de dérèglements climatiques, d’épisodes de sécheresse mais aussi d’hivers longs, froids, comme l’hiver 1709 – 1710 qualifié d’interminable. L’agriculture elle-même n’était pas à la hauteur des besoins, corsetée par des habitudes culinaires ancestrales : le pain de seigle, la soupe épaisse plusieurs fois par jour. La pomme de terre n’est véritablement apparue qu’à la fin du XVIIIe siècle. On comprend que les épidémies ne pouvaient que proliférer sur des organismes épuisés par la malnutrition, la faim et dans un contexte d’insalubrité et de manque d’hygiène.

 Un extrait des Annales de l’Aveyron raconte qu’après les ravages de l’hiver 1709 dus au climat et pour atténuer la famine qui suivit, l’Intendant du secteur défendit l’exportation de grains de blé en dehors du Rouergue. Le voiturier de Montpeyroux qui transportait du blé fut arrêté par la « Milice bourgeoise de Mostuéjouls » (sic). Son blé fut distribué à la population par ordre du Subintendant. Cette anecdote fera la transition avec la notice nécrologique de Liaucous qui va suivre et dont voici la liste :

  • Marie Monestier décédée à Liaucous le 30 septembre 1656
  • Antoine Baldouy atteint de maladie populaire décédé le 8 octobre 1656
  • Étienne Cadoule affligé de maladie populaire à Liaucous le 18 octobre 1656
  • Isabeau Vidal, femme de P. Aigouy le 20 octobre 1656
  • Foulcrand Delmas, serrurier, décède le 21 octobre 1656
  • P. Aigouy, cordonnier, le 29 octobre 1656
  • Dides, tailleur d’habits, le 29 octobre 1656
  • Jean Aigouy, travailleur de Liaucous, le 07 janvier 1657
  • Madeleine Layrolle, femme de Jean Layrolle, muletier
  • Marin Altebesse, peigneur de laine, le 09 janvier 1657
  • Mafafosse, femme de P. Alméras, menuisier, le 18 janvier 1657
  • Jeanne Aigouy, veuve de P. Yrinhac, le 13 janvier 1657
  • Jean Barthélemy, de Liaucous, le 28 janvier 1657
  • Jean Carrière, muletier, le 28 janvier 1657
  • Catherine Malafosse, veuve de Jean Barthélemy, le 02 février 1657
  • Delmas, muletier de Combaurie, le 13 février 1657

Cette longue énumération se termine par le commentaire suivant : « Depuis cette date, l’un meurt abattu de vieillesse, l’autre tant à raison de sa vieillesse qu’à cause du relâchement de son ventre ». Cette phrase est éloquente, elle donne la clé de l’origine de la « peste populaire » de Liaucous. Elle confirme son caractère infectieux. Le « relâchement du ventre » fait référence au syndrome diarrhéique des dysenteries et aux selles abondantes qui essoraient des intestins ballonnés et entraînaient une mort par déshydratation. Deux diagnostics viennent immédiatement à l’esprit : le Choléra et le Typhus. Ils ne sont pas évoqués dans le document de l’époque mais ils sont hautement probables. Par fierté peut-être, ce texte ne parle ni de malnutrition ni de pauvreté mais seulement de maladie et de vieillesse. Concernant la vieillesse, la liste des morts de Liaucous ne précise, ni leur date de naissance ni leur âge. En 1656 la vie était si courte que l’on était peut-être déjà vieux entre 40 et 50 ans. En tout cas, en 2 mois (octobre et janvier) sont morts 16 habitants de ce village, dont plusieurs couples, ce qui témoigne de la gravité de cette épidémie, du Choléra très certainement. On ne souligne d’ailleurs jamais assez les conséquences désastreuses du passage de ces épidémies sur la démographie locale. Certains villages perdaient en quelques mois la moitié de leur population ou presque, ce qui ne faisait qu’accroître leur niveau de pauvreté.

Depuis cet ancien temps la Médecine heureusement a fait des progrès. Aux vaccins sont venus s’ajouter les antibiotiques et le premier d’entre eux la Pénicilline en 1944 mais ces découvertes n’ont pas empêché la survenue d’autres épidémies. Le XXe siècle et le suivant ont été ravagés par trois pandémies planétaires : la Grippe espagnole qui a fait autant de victimes que la Guerre de 14, le Sida et le Covid. Quant à la pauvreté, s’il est vrai que l’on ne rencontre plus de mendiants dans les rues de nos villages, peut-on dire qu’elle a disparu ?

Pour terminer je souhaite avoir une pensée pour Albert Carrière, cet instituteur méconnu qui a décrypté tous ces documents anciens et pour Jean-Jacques Guers qui les a collectés avec soin. Ainsi ont pu être ressuscités des pans de notre histoire.

                                                               A Mostuéjouls, ce 25 août 2023

                  Alexis Baldous

PS : A une date lointaine et inconnue, « René Reboul, Gouverneur de la maladrerie Saint-Thomas et les Consuls de Millau ont admis à la maladredie B. Paporel de Liaucous touché de la lèpre ». Il ne méritait pas qu’on l’oublie.


TRICOLOR

Mostuéjouls est un village médiéval appendu à son château comme un fruit à une branche. Au fil des siècles, ce château féodal a subi bien des avaries, des incendies en particulier. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il a été remplacé par la lourde bâtisse aux formes rectangulaires que nous connaissons aujourd’hui. Dès l’origine, les propriétaires du château ont pris comme nom de famille, le nom du village. Et de fait, les « de Mostuéjouls » figurent parmi les plus vieilles familles de France. Ils ont compté quelques personnages célèbres, un Cardinal. A la tête d’un immense domaine qui dessine les frontières de l’actuelle commune, ils ont été élevés à la dignité de Marquis, un rang élevé dans la hiérarchie de la Noblesse provinciale. Aujourd’hui les porteurs de ce nom sont rares et éloignés de leurs racines.

En s’octroyant le nom du village, les châtelains de l’époque entendaient marquer leurs droits de propriété sur le château mais aussi sur les terres et sur le village dans son ensemble. A la Révolution, ce droit leur a été formellement contesté, comme en témoigne le document qui suit :

« Le 20 juin 1790, l’Assemblée Nationale Constituante autorise les villes, bourgs, villages et paroisses dont les seigneurs ont donné leur nom de famille à reprendre leur nom ancien. En 1793, les citoyens de Mostuéjouls, Liaucous et autres municipalités, proposent que la République Française ayant proscrit la féodalité, il convient d’extirper ses plus profondes racines en radiant de son vocabulaire le nom que le ci-devant seigneur prétend lui appartenir comme nom de famille, d’où il résulterait qu’il aurait asservi ledit village à porter ce nom féodal de Mostuéjouls. Lesdits citoyens prient en conséquence le Comité de district de Millau de les autoriser de donner à ce lieu et paroisse de Mostuéjouls celui de Tricolor ».

Et c’est ainsi que sous la Révolution française, Mostuéjouls a bien failli s’appeler Tricolor. On imagine l’ambiance du Comité de Salut Public local. Une atmosphère surchauffée et un citoyen surexcité prenant la parole et faisant valoir que la Noblesse, c’est fini, qu’il fallait faire disparaître toute trace de féodalité à commencer par le nom de Mostuéjouls. A sa place, Tricolor ! en hommage au drapeau de la République. Tricolor ! ça sonne comme un coup de clairon ! Macarel ! … Tricolor reçut un vote favorable. La rumeur ne tarda pas à se répandre dans le village. La population en silence et dans ses profondeurs n’appréciait pas trop cette nouvelle étiquette. Malgré tout, à cette époque, il valait mieux se taire et être du côté du plus fort. Mais, surprise et déception ! en haut lieu, le Comité de Salut Public du district de Millau n’approuva pas ce choix. Exit Tricolor !

Nouvelle délibération du Comité local. Ce coup-là, l’imagination flamboyante des débuts de la Révolution n’était plus au pouvoir. En murmurant, l’un des participants proposa à voix basse : « La Coste ». Ça ne voulait pas dire grand-chose mais « La Coste » fut votée à la majorité. Seulement voilà, au District de Millau « La Coste n’eut pas plus de succès que Tricolor. Si Mostuéjouls faisait « Vieille France », Tricolor n’était ni plus ni moins qu’une fanfaronnade et La Coste donnait l’impression d’avoir été tiré au sort dans un chapeau, par un Comité en pleine léthargie … Et Mostuéjouls redevint Mostuéjouls ou plutôt, Mostuéjouls demeura Mostuéjouls car Tricolor et La Coste refusés par le District de Millau n’ont jamais figuré ni à l’État Civil ni au Journal Officiel.

Mostuéjouls garda son nom, comme d’ailleurs la quasi-totalité des villages de l’Aveyron. Les demandes s’appuyaient toujours sur les mêmes critères : faire table rase du passé et effacer tout ce qui pouvait évoquer la Noblesse ou la Religion. Étaient particulièrement visés et menacés les villages ou les bourgs portant le nom d’un Saint. On en comptait en Aveyron une bonne cinquantaine. C’était beaucoup et l’Administration fit valoir qu’elle ne pouvait pas suivre, ni l’Administration ni l’opinion publique d’ailleurs. Une fois la Révolution passée, les régimes qui ont suivi ont réintégré toutes ces communes dans leur ancien nom, à l’exception de quelques-unes dont Salles-la-Source. Pour les autres, voici quelques exemples. « La Montagne » redevint Saint-Affrique, « Muse-Libre » redevint Saint Beauzély, « Source-Vive » redevint Sainte-Eulalie-de-Cernon, « Pont-Libre » redevint Saint-Rome-de-Tarn, « Vallée Pure » redevint Saint-Georges-de-Luzençon, « Sévérac-la Montagne » redevint Sévérac-le-Château, « Sévérac-l’Union » redevint Sévérac-l’Église, etc, etc, … et « Tricolor », alias « La Coste » redevint Mostuéjouls.

Dans l’effervescence furieuse de la Révolution, débaptiser les communes, c’était pour certains une façon de se donner de l’importance et de se faire plaisir. Et après ? Après, on a redonné aux villages leur nom d’origine. A quoi bon alors, tout ce remue-ménage ? … De nos jours, cette fièvre a refait son apparition. On débaptise les rues, on vandalise les tableaux dans les Musées, on déplace les statues … En réalité, l’homme, encore et toujours, éprouve un besoin incontrôlé de satisfaire ce qu’il estime être son bon droit. C’est dans sa nature, c’est cyclique, c’est incurable.

                                                                                                                                              AB

PS : documentation historique extraite du Bulletin du Cercle Généalogique du Rouergue n°109


Covid, Pasteur, Au secours !

La vaccination a toujours fait l’objet de controverses. Tous les arguments ont été utilisés pour s’opposer aux vaccins et les discréditer : leurs effets secondaires, leurs complications supposées, leurs conséquences imprévisibles. Depuis des mois on est habitué à tout entendre sur tous les sujets : sur les vaccins, sur les masques bons ou mauvais, sur les variants suivant leur provenance, sur le confinement aléatoire ou inefficace, sur les grandes plages bretonnes désertes et interdites aux riverains, sur le monde Culturel plus dangereux que le Métro, sur la fermeture des commerces les uns et pas les autres. Le gouvernement impose sa loi sanitaire, « du grand n’importe quoi » comme disent les gens en douce. Il n’est évidemment pas question de nier la pandémie mais de dire et d’affirmer que la seule façon de s’en sortir est de pratiquer une vaccination de masse. Seulement on a tellement fait campagne contre le vaccin en faisant douter de son efficacité que l’on a pris un retard fou. Plus que des vaccins, on ne se méfiera jamais assez de l’intoxication médiatico- politique.

Cela me rappelle l’histoire de ce médecin qui était par principe hostile aux vaccins. Il avait deux enfants. Le secrétariat du collège avisa son épouse que sans certificat de vaccination, il n’y aurait pas d’inscription scolaire. Le mari ne cédant pas, elle fit appel à un médecin de leur relation qui ne vit aucun inconvénient à vacciner les enfants. Ils furent donc vaccinés en secret et sans problème. Le résultat est qu’ils avaient deux carnets de vaccination : l’un qui était vierge ne comportait aucun vaccin et faisait la fierté de leur père et un autre qui était un carnet de vaccination normal avec les dates et la nature des vaccins pratiqués. Leur mère avait cru préférable de le laisser à la garde du médecin vaccinateur. Bien entendu, un jour leur père fut mis au courant. Cela provoqua quelques remous dans le ménage mais mit fin à une situation absurde.

Avant Louis Pasteur, on mourait à 40 ans. Au fil des décennies, lui et ses disciples ont éradiqué de la planète combien de maladies, sauvé combien de millions de vies humaines et mis au point combien de vaccins ? Contre la rage, contre la variole et ensuite contre la diphtérie, le tétanos, la typhoïde, la tuberculose, la lèpre, la polio, la rougeole, la rubéole, l’hépatite, la grippe, etc … Et nous savons que si de nos jours, certaines de ces maladies persistent encore ce n’est pas par manque de vaccins mais de moyens financiers. Seulement voilà, la pandémie vient de déclencher une vague incontrôlée de peur, d’angoisse et même de panique. La médecine tâtonne. Les politiques naviguent à vue, alors le doute s’installe. Chacun y va de son opinion, exprime à sa façon ses inquiétudes et ses réserves. Même les soignants se méfient. Du jamais vu ! Je devrais dire : une honte !

Tout le monde il est vrai ne meurt pas entre 90 et 100 ans mais l’espérance de vie a atteint en moyenne en peu d’années, des limites d’âge inimaginables. Pour autant nous ne sommes ni rassurés ni satisfaits ni contents. C’est à désespérer. Frédéric Dard, le père de San-Antonio, dont on célèbre le centenaire de la naissance cette année a été considéré comme le « pourfendeur de la bêtise humaine ». Il est parti trop tôt.

Février 2021


Le Coquelet

Depuis quelques semaines, le « confinement » est devenu le maître-mot de notre vie. Confiné ou pas, il faut bien manger. J’allais donc tout récemment faire mes courses dans une grande surface voisine de notre domicile. Je m’approche du rayon de la charcuterie, lorsque la vendeuse me crie : « Monsieur ! Monsieur ! reculez-vous, reculez-vous ! ». Je me recule en me demandant, comme un écolier pris en faute, ce que j’avais bien pu faire de grave. Elle ajoute : « Vous n’avez pas vu l’affiche sur le plexiglas ? Vous devez être en retrait d’un mètre. Vous ne devez pas dépasser la ligne noire de distanciation sur le sol ! ». Après ce cours de civisme, je me recule, mais plus on est loin, moins on voit ce qu’on achète. Je lui désigne quelque chose. Elle me dit « C’est un coquelet ». Allons-y pour le coquelet. Elle le prend, le met dans un sac ad hoc, le pèse, étiquette le prix et me le tend. De mon côté, je tends mon bras, mais le résultat est qu’il y avait un bon mètre de distance entre ma main et le coquelet qu’elle tenait à bout de bras. Je lui dis : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? ». Pas de réponse. Je lui propose de me lancer le coquelet. « Il ne va pas s’envoler ! Il est cuit » mais elle refuse de lancer le coquelet. À ma droite et à ma gauche, les quelques acheteurs qui avait suivi la scène depuis le début, étaient morts de rire. Finalement, j’ai donc franchi la ligne de distanciation, j’ai pris mon coquelet, je suis passé à la caisse et j’ai quitté les lieux.

Chaque page de notre Histoire a donné naissance à un vocabulaire de circonstance. La guerre de 40, qui a marqué mon enfance, avait le sien. Il y avait par exemple la ligne de démarcation qui coupait la France en deux et que l’on ne pouvait franchir qu’avec l’autorisation des Allemands. Il y a eu les mots de la honte : la débâcle, l’exode, l’Occupation, la Collaboration, la Milice. Les mots de l’horreur : la Déportation, les camps de concentration, les chambres à gaz. Les mots de l’espoir et de la liberté : la Résistance, le Débarquement, la Libération et tant d’autres mots si lourds de sens qui sont venus enrichir la langue française.

Aujourd’hui par un hasard et un mauvais tour de l’Histoire, subitement en quelques jours, les « gilets jaunes » ont laissé la place au coronavirus. Avec la pandémie, les rues se vident et les victimes se multiplient. Tous les soirs, à 20 heures, du haut des balcons, on applaudit les « soignants », les héros de cette nouvelle guerre. Il n’y a pas si longtemps, aux Urgences, on ne les traitait pas avec autant d’égards et d’honneur. Un nouveau vocabulaire apparaît : le confinement, la distanciation, le traçage, les gestes barrières, les masques, le télé enseignement, le télétravail, les examens en distanciel,  » l’EHPAD « . A défaut d’utiliser le mot Foyer, Résidence ou autre, on aurait pu trouver un meilleur sigle pour les personnes âgées … L’EHPAD, si proche phonétiquement du mot Épave, comme nous l’a fait observer si pertinemment l’une de nos filles.

Mais si le vocabulaire change, les relations humaines sont, elles, profondément perturbées. Pas d’embrassades, pas de poignées de mains, pas d’accolades, pas de contacts physiques. La peur, c’est la peur du virus, de son voisin, de ses proches, la peur du gendarme. On s’évite, on s’écarte, on se protège, on se craint. La distance, la séparation, la quarantaine qui date du Moyen Âge redeviennent des mots à la mode. La délation même …

Jusqu’où ira-t-on dans ce nouveau vocabulaire ? Jusqu’où ira cette chasse au virus ? L’éradiquer ? Les éradiquer tous jusqu’au dernier au prix d’une enquête pseudo-policière ? Est-ce possible ? Est-ce acceptable ? Soumettre la France à un traitement de cheval, pourquoi pas ? Mais à condition de ne pas tuer le cheval …

On attend le « déconfinement » et le retour à une vie normale avec impatience. C’est cela l’urgence maintenant.

Par anticipation, le 11 mai 2020


Le syndrome de l’Ogre, une sale Histoire

Je ne veux pas être gouverné par un monstre. (Sylvain Tesson)

L’ogre de la légende était un être obèse, volumineux, monstrueux. Son visage était bouffi, ses mains boudinées, son corps débordant. Il avait des yeux de rapace, une grande bouche, des lèvres charnues, des dents carnassières. L’ogre est vorace. Il a faim. Il a toujours faim. Plus il mange et plus il grossit. Plus il grossit et plus augmente son appétit. Mais selon la légende, son appétit va plus loin encore : l’ogre se nourrit d’enfants. C’était juste destiné à faire peur, mais en fait l’ogre de la légende n’était pas un Gargantua débonnaire. C’était un anthropophage, un cannibale, un monstre.

Des histoires d’ogres, notre Histoire en est pleine. Le 20ème siècle nous en a fourni deux sinistres spécimens, Hitler et Staline, l’un comme l’autre insatiables. La boulimie d’Hitler était sans limite, annexion des pays voisins et de presque toute l’Europe par la guerre, par le bombardement des villes, les destructions, la spoliation sans scrupule des biens et des richesses des pays conquis et occupés. Posséder, posséder et détruire pour posséder. Il y a eu pire. L’ogre hitlérien a pratiqué l’anthropophagie à une échelle inimaginable, l’éradication des juifs, des tsiganes, des homosexuels, des déficients mentaux, des handicapés, des opposants politiques par des procédés inédits de cruauté. Les rafles de familles entières, leur déportation en Allemagne dans des wagons plombés et vers des camps de concentration, leur élimination par le travail forcé, par le froid, par la famine, par l’humiliation, par les coups. Leur mort enfin dans des chambres à gaz et des fours crématoires.

J’étais enfant pendant la guerre de 40. Trop jeune et trop éloigné de tout à la campagne, pour mesurer la gravité de ce qui arrivait. Il y avait si peu de moyens de communication, pas de Presse, un seul téléphone, à la Poste de chaque village. Le courrier était rare. Est-il nécessaire de rappeler qu’il n’y avait ni télévision ni téléphone portable ni information en direct. C’était une autre époque mais j’étais assez éveillé pour ressentir l’étendue de notre drame. Les familles étaient écartelées, les hommes en captivité en Allemagne. Pendant 4 ans, nous avons subi la présence de l’Occupant. La signalisation dans les villes était en langue allemande, les véhicules militaires ont envahi les cours des collèges où nous étions pensionnaires et qui ont dû fermer leurs portes. Notre appétit s’est adapté aux restrictions alimentaires. Ce n’était pas le pire mais ce fut suffisant pour marquer notre enfance d’une trace indélébile.

On peut même dire que la guerre était doublement présente car nous vivions dans le souvenir pesant et permanent de la guerre de 14, si proche, un peu plus de 20 ans et qui avait été une effroyable tuerie. Les monuments aux morts de chaque village étaient là pour nous le rappeler. Le comble était que le Maréchal Pétain se trouvait même à la tête de l’Etat. Je ne sais pas si les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité faisaient partie de notre vocabulaire. Mais je sais que le simple mot de « guerre » résumait tout, à lui seul. Des crimes, il y en a eu. J’en ai cité un certain nombre parmi les plus épouvantables. Il y a aussi ceux qui m’ont le plus frappé à l’époque. En 1940, les civils du Nord et de l’Est de la France fuyant l’invasion ennemie et mitraillés sur les routes par les Stukas aux sirènes hurlantes de l’aviation allemande. Je me rappelle de ces gens terrorisés, à leur arrivée sur la Place du Mandarous à Millau. Il y a eu le martyre sous la torture des Résistants pris dans les mailles de la Gestapo et les actes de barbarie inqualifiables des SS : Oradour-sur-Glane et le massacre de toute la population, les hommes fusillés et les femmes et les enfants brûlés vifs dans l’Eglise. Et encore Tulle et ses 99 hommes de tous âges pris en otage et pendus aux balcons des maisons de la ville. L’horreur absolue …

Avec Staline et sous couvert d’une idéologie égalitaire, le processus et les résultats ont été comparables sinon pires. En 1940, parmi les 150 000 polonais exécutés sur ordre de Staline, le massacre à Katyn des 4 500 officiers polonais abattus d’une balle dans la nuque. En Russie, un régime policier, des enlèvements de civils sans explication ni préavis, des procès truqués, des faux aveux, le KGB et la torture, des exécutions sommaires, des déportations en masse, des déplacements de population, le goulag, des conditions d’esclavage dans les mines de Sibérie, la disparition et la mort de dizaines de millions d’individus. L’inhumanité poussée à ses extrêmes limites.

Les Ogres finissent mal. Hitler se suicida dans son bunker au milieu des ruines fumantes de Berlin et de toute l’Allemagne. La plupart de ses acolytes ont été pendus, suivant en cela le verdict du procès de Nuremberg. Staline, lui, est mort dans son lit, inondé des larmes de ceux qui avaient échappé à sa cruauté. Ses acolytes, il s’en était chargé lui-même. Notons au passage que si l’on a fait le procès du nazisme à Nuremberg, on n’a toujours pas fait celui du stalinisme, loin de là.

On pensait avoir tout vu et l’Europe s’est assoupie sur ce rêve. C’était oublier que la race des ogres a des ramifications mondiales. Il y a des Ogres de Droite et des Ogres de Gauche. Dans le désordre, Mussolini, Franco, Mao et ses 70 millions de morts, Pol Pot, Pinochet, Kadhafi, Mobutu, Ceausescu comparé à l’ogre des Carpates, Trujillo, les généraux argentins, les Mollahs en Iran, la dynastie des Kim Il Sung en Corée du Nord avec leurs parades multicolores d’exécutants robotisés. Et j’en oublie. Mais voilà, nous avons l’art de ne pas voir.

Au 21ème siècle, un Ogre nouveau est arrivé : Poutine, ex-colonel du KGB avec son visage creux et ingrat de mauvais garçon, chimiquement transformé un peu plus tard en faciès arrondi de poupée gonflable. Il était bien connu. Il avait dévoré la Tchétchénie et rasé sa capitale Grozny. Il avait annexé l’Ossétie aux dépens de la Géorgie. Il avait fait ses muscles en Syrie, dans l’indifférence générale. Tout cela avec les égards dûs à son rang. L’Ukraine devait être sa prochaine proie. Selon un procédé bien connu, il l’a accablée de toutes les tares possibles pour donner à son agression un vernis de légitimité. Il s’est approprié la Crimée, a revendiqué ses droits sur le Donbass. Un face-à-face militaire pouvait suffire mais c’était mal connaître Poutine. Son plaisir sadique est de martyriser la population civile, de l’écraser sous une pluie de missiles, à l’égal d’Hitler vis-à-vis de la Grande-Bretagne, d’afficher sa cruauté jusqu’à couper en plein hiver l’eau, l’électricité, le chauffage pour renvoyer, selon ses vœux, les civils, aux conditions de vie et de misère des siècles passés. A ce sinistre catalogue, il faut ajouter les pillages, les viols, les meurtres de civils menottés, assassinés dans les rues, dans leur maison, dans leur cave transformée en lieu de torture. Boutcha, une réédition d’Oradour-sur-Glane à l’échelle russe. Enfin, le pire a été atteint – mais est-il possible d’atteindre le pire ? – en arrachant les enfants à leurs parents, en les déportant aux quatre coins de la Russie et en les condamnant à être adoptés de force, ceci en infraction avec toutes les lois de la guerre.

Poutine a son équivalent en Chine. Xi Jinping, son comparse, qui sous des aspects respectables fait disparaître le peuple Ouïgour dans des camps d’internement et de rééducation gigantesques. Tous ces malheureux sont loin de nous et leur sort nous importe peu. Nous sommes si occupés par nos problèmes …

L’Homme est capable du meilleur en Art, en peinture, en musique, en architecture, en littérature, en poésie. Cela nous le savons et nous aide certainement à vivre. Malheureusement, l’Homme est aussi capable du pire. Il nous arrive de l’oublier ou de ne pas vouloir le voir et d’en payer un jour le prix. La violence est une plaie ouverte de notre humanité. Elle a traversé tous les siècles. Nous avons la fierté mais aussi la naïveté de penser que notre civilisation progresse, c’est vrai dans certains domaines. Mais comme aux siècles précédents, nous vivons des temps de violence. Les faibles ont toujours tort car les ogres sont toujours présents. Leur syndrome est contagieux, il se répand dans notre monde, il distille son venin, il contamine la jeunesse, il exalte la loi du plus fort dans les rues et à l’école. Nous assistons impuissants à la disparition du respect de la vie et à la mise en cause fondamentale des droits de l’Homme. À l’échelle de l’Europe, de notre pays, de notre vie quotidienne, c’est un immense défi pour notre temps.

Mostuéjouls, le 28 mars 2023, AB


Allons enfants …!

« Devant l’Assemblée des maires de France aurait pu chanter :
La République qui nous appelle,
Sachons vaincre et sachons mourir.
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle, un Français doit mourir »

Nous connaissons la chanson et nous l’avons vécu, nos grands parents en 14, nos parents en 40 et nous en Algérie. Nous avons ensuite connu un temps de paix artificiel, une sorte de dolce Vita.

Depuis mai 68, le ver est dans le fruit mais les prédateurs sont toujours là, surveillant ces européens qui s’agitent, qui se chamaillent…
En grand seigneurs et alors que nous sommes « sans le sou », nous accueillons toute la misère du monde au nom de principes plus ou moins hypocrites.

Poutine mène la danse et notre président actuel qui cumule l’inconvénient de n’avoir participé à aucune guerre et de ne pas avoir d’enfant, nous embarque dans une aventure périlleuse. Mourir pour la patrie en Ukraine, est-ce raisonnable et n’y a t-il pas d’autres voies. Les Etats-Unis qui ont avant tout le sens des affaires voient plus d’intérêt à parler à Poutine qu’à écouter Macron.

Il y a des minerais à extraire un peu partout dans le monde, dans le sous-sol ukrainien, au fond du Pôle Nord et au Groënland. Alors si les européens préfèrent mourir pour la patrie, c’est leur affaire. Les USA ne se sentent pas concernés par une Europe colonisée, multi raciale, et qui n’aura bientôt d’Européen que le nom. C’est un point de vue officiel que nous vivons la fin de quelque chose.

Je me demande, contrairement au titre d’un essai politique récent, si la messe n’est pas déjà dite…

Mostuéjouls, le 25 novembre 2025, AB