Le Patrimoine
Le Patrimoine est un héritage du Passé. Il se traduit souvent et tout simplement par des paysages magnifiques qui nous attendent à la porte de notre domicile. A défaut, nous partons par tous les moyens possibles, à leur recherche. Ces paysages sont un cadeau de la Nature et un don de la Terre. Notre planète a mis des milliards d’années pour nous les offrir. Chaque pays, chaque région a les siens. Pour nous, ce sont les Gorges du Tarn, le Causse Méjean, le plateau du Larzac, l’Aven Armand, le chaos de Montpellier-le-Vieux. Un peu plus loin, ce sont les volcans d’Auvergne, l’Aubrac, les Alpes, les hautes vallées pyrénéennes, et plus loin encore le Jura, les Vosges et la Bretagne. On n’en finirait pas de faire la liste, en France ou de par le monde, des sites magnifiques qui ont été façonnés par l’eau, par le vent, et par la force des éléments. Tel est en résumé le patrimoine naturel dont nous avons la jouissance et la garde.
Mais ce n’est pas tout. Nous avons aussi le Patrimoine légué par l’homme, car à la Nature, l’homme a ajouté son génie propre. Un génie artistique qui touche à tous les domaines, la peinture, la sculpture, l’architecture, la littérature, la poésie, la langue et la musique. Dès l’origine, apparaissent les peintures préhistoriques de Lascaux (1500 ans av J.C) et ensuite au fil du temps, le Pont du Gard, Conques, les Cathédrales de Chartres, d’Albi et toutes les autres, le Viaduc de Garabit, le Viaduc de Millau et nos modestes chapelles romanes de Notre Dame des Champs et de Saint-Sauveur. Ensuite, un guide touristique planétaire serait utile, les Pyramides d’Egypte, la Grèce, Florence, Venise, Grenade et tous les musées du monde, ceux des Pays-Bas, Le Louvre, Orsay et Le Prado à Madrid. Voilà, en résumé et à notre simple échelle, car il existe tant d’autres cultures, le Patrimoine humain dont nous sommes les bénéficiaires. On voit tout de suite que dans ce contexte la Défense du Patrimoine prend une autre dimension.
On le sait, chaque médaille a son revers. La Nature, à l’origine de notre Patrimoine, peut aussi être à l’origine de sa disparition, à travers des ouragans, des tsunamis, des incendies, des inondations, des tremblements de terre surtout. A titre d’exemple, la disparition de la ville d’Ephèse en Turquie au début de notre ère. Une cité prospère de 200 000 habitants, riche d’un patrimoine gréco-romain d’un raffinement architectural exceptionnel, un amphithéâtre de 25 000 places, la célèbre bibliothèque de Celsus et les traces encore apparentes d’un urbanisme évolué. Ephèse était de plus un port important de la mer Egée. Aujourd’hui, du fait de secousses telluriques répétées et d’un envasement progressif, les vestiges du port et de la ville sont à 7 kms de la côte. A cet exemple, on pourrait ajouter les temples et les monuments grecs et romains en ruines autour du bassin méditerranéen, par suites de séismes, et pour finir la disparition sous des mètres de cendres brûlantes de la ville de Pompeï après l’éruption du Vésuve en l’an 79.
Heureusement aussi, il arrive que la Nature contribue spontanément à sa propre renaissance. Après les incendies, sur la terre encore couverte de cendres, ou sur la lave refroidie des volcans, la végétation repart. Parmi d’autres, l’exemple le plus spectaculaire de ce que la Nature peut faire, nous est offert par l’histoire récente de l’Amoco Cadiz. Ce pétrolier géant naufragé a déversé le 16 mai 1978 sur les côtes bretonnes 300 000 tonnes de brut, provocant la plus grande marée noire du siècle. 40 ans plus tard, toute trace de pollution a disparu. Les plages de Kersaint et de Portsall sont aussi belles et aussi propres qu’avant. Un véritable nettoyage en profondeur s’est opéré. Les volontaires y ont contribué au départ mais la Nature en est responsable pour l’essentiel.
Quant à l’homme, vis-à-vis du Patrimoine, il est selon la formule, capable du pire et du meilleur. Le pire peut avoir des degrés divers. Passons sur les tags et les actes stupides de vandalisme. Un niveau supérieur est atteint avec la pollution de l’air, des rivières et de la Mer qui met en péril l’homme lui-même et l’existence de certaines espèces animales. Mais le pire et l’impardonnable, ce sont les guerres. Dans leur genre, les Révolutions aussi. Pour mémoire en 1871, l’incendie et le pillage des Tuileries, de l’Hôtel de Ville de Paris et du Palais de Justice par les insurgés de la Commune. Mais les guerres sont le pire du pire. Nos références dans ce domaine sont toujours les deux dernières guerres mondiales. En 1914, c’est l’Artillerie qui règne en maître sur le champ de bataille, qui détruit tout, qui pulvérise les villes et les villages, qui laboure la terre au point qu’on ne reconnaît plus les paysages et enfin et surtout qui écrase l’Infanterie. En 1945, l’Aviation a pris le relais. Elle pilonne les villes et massacre les civils. A Dresde, en Allemagne, le 13 février 1945, 25 000 morts en une nuit de bombardement incendiaire au phosphore. Au Japon, en août 1945, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité est utilisée la bombe atomique. Elle provoque la disparition d’Hiroshima, une des principales villes d’Art du Japon et celle du port de Nagasaki. Elle entraîne la mort immédiate ou retardée de plus de 300 000 civils. En France c’est la sinistre litanie des villes martyres, Rouen, Caen, Saint-Malo, Brest, Lorient, Saint-Nazaire et tant d’autres, rasées en totalité ou en partie. Mais cela, c’est déjà de l’Histoire ancienne, si l’on peut dire. Plus récemment, on pourrait citer la destruction à la dynamite du site exceptionnel de Palmyre en Syrie, probablement sans espoir de restauration car il n’en reste plus rien.
Mais ce n’est pas un de ses moindres paradoxes, l’homme qui peut tout détruire est capable de tout reconstruire. Après deux guerres la France et l’Europe en 1945 étaient un champ de ruines. Il fallait tout rebâtir, des maisons pour loger les gens, des écoles, des collèges, des hôpitaux, des routes, des ponts, des voies ferrées. Un ancien élève du Lycée de Brest a intitulé son livre de souvenirs : « Le Lycée en barraques ». Il fallait tout refaire, cela a demandé des efforts et du temps mais petit à petit un nouveau Patrimoine est né. A ce propos il y a des images qui ne s’effacent pas, celle par exemple des soldats de la Wehrmacht violant la frontière de la Pologne, événement qui fut le prélude à la guerre de 1940. Prise en tenailles entre l’Allemagne nazie à l’ouest et l’URSS à l’est, la Pologne était vouée à disparaître. Ce fut le début de son martyre, massacre planifié des Juifs, déplacement de sa population, implantation de camps de concentration, anéantissement de son patrimoine. Aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle, les villes polonaises ont retrouvé leur charme et leur éclat. Le port de Gdansk par exemple, détruit à 90 %, est devenu une ville d’une étonnante beauté.
Parler du Patrimoine, c’est évoquer inévitablement sa restauration et sa défense. Lorsque le Patrimoine est en péril, sa restauration est aujourd’hui un réflexe naturel. Mais dans ce domaine, le véritable pionnier a été au 19ème siècle, l’architecte français Eugène Viollet-le-Duc. Avant lui, la dégradation du Patrimoine ne soulevait guère de réaction comme si toutes ces richesses architecturales étaient naturellement vouées un jour à mourir de leur belle mort. Une prise de conscience de ce trésor était nécessaire. Eugène Viollet-le-Duc en a été l’initiateur. Mais il ne faut pas oublier de mentionner à ce chapitre, Prosper Mérimée, plus connu comme Académicien et Homme de Lettres, mais qui fut dès 1836, Inspecteur Général des Monuments historiques. Passionné d’architecture, il a voué une grande partie de sa vie au patrimoine de la France. Chenonceaux lui doit beaucoup. Eugène Viollet-le-Duc fut son fidèle collaborateur mais surtout, sur le terrain, un incomparable maître d’oeuvre. On lui doit la restauration de quelques monuments emblématiques de notre Patrimoine. Parmi eux, la Basilique romane de Sainte-Marie-Madeleine à Vézelay, le château de Pierrefonds, Notre Dame de Paris, et la Cité de Carcassonne qui était en ruines. Ses restaurations lui ont valu des critiques. On lui a reproché de faire du neuf, mais avec la patine du temps, la Cité de Carcassonne fait maintenant d’époque, ou presque … Les restaurations récentes provoquent toujours une surprise. C’est le cas de la Cathédrale de Chartres. On avait pris l’habitude de son obscurité intérieure. Aujourd’hui la restauration jumelée de ses vitraux et de ses voûtes l’a fait apparaître dans toute sa clarté. On la croirait neuve.
Quant à sa défense, elle va de soi car jour après jour, le Patrimoine est attaqué par les intempéries, par le temps qui passe et par la négligence des hommes. Cette défense a été le point de départ de nombreuses associations qui réunissent des hommes et des femmes ayant le souci et pour certains, la passion de faire vivre ou revivre le passé. Notre passé contient des trésors qui sont cachés dans mille et un détails de notre environnement, dans de vieilles chapelles, dans de vieilles maisons de notre village, restaurées avec goût. On pourrait aller jusqu’à dire que la rénovation et la défense du Patrimoine ont donné naissance à un Art, l’Art de remettre en lumière les trésors cachés et oubliés de notre Patrimoine.
Cependant le point le plus important est encore ailleurs. Notre Patrimoine c’est la Terre. Elle est menacée par l’homme et confrontée à des problèmes de réchauffement climatique et de pollutions de toutes sortes. La Terre est menacée et nous feignons de ne pas le voir. A ce stade, la Défense du Patrimoine c’est beaucoup plus qu’une obligation et un devoir, c’est une nécessité vitale.
Mostuéjouls, ce 10 mai 2020

Au soir du 15 avril 2019 le monde entier apprenait avec stupeur et dans la tristesse l’incendie de Notre-Dame de Paris. On assistait en direct à l’embrasement et à la chute de la flèche érigée deux siècles plus tôt par Viollet-le-Duc. Après ce terrible accident, combien de temps faudra-t-il pour revoir Notre Dame de Paris et la flèche de Viollet-le-Duc comme à l’époque de leur splendeur ?



Le Patrimoine Rural
La notion de patrimoine rural a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Il y a trente ou quarante ans, qui se souciait vraiment du patrimoine rural ? Seuls, en haut lieu, des services spécialisés étaient affectés à la protection, à l’entretien et à la sauvegarde des monuments historiques. Le patrimoine désignait essentiellement les bâtiments anciens, les édifices religieux ou civils qui représentaient pour la France, une réelle valeur symbolique : Versailles, Fontainebleau, les châteaux de la Loire, les cathédrales gothiques, certains sites remarquables comme la cité de Carcassonne par exemple, et bien d’autres. Dans chaque région et dans chaque préfecture, le patrimoine national était confié à un service compétent sous l’autorité d’un architecte des Beaux Arts.
Mais la notion de patrimoine local ou rural, tel que nous l’entendons aujourd’hui n’existait pratiquement pas. Qui se souciait des petites chapelles romanes, des vieilles fontaines, des vieux lavoirs, des croix, des ruines, des calades ? Ils faisaient partie naturellement du paysage. On vivait avec, sans notion ni de leur état, ni de leur valeur. Ils n’étaient même pas répertoriés. Que l’un ou l’autre disparaisse, quelle importance ?
Un petit rappel historique s’impose. Pendant des années, des siècles même, la campagne avait vécu dans une certaine immobilité, au rythme lent des hommes et des chevaux. Les chemins, les routes, les rues, les maisons, les portails, les champs, les vignes, avaient été façonnés par un type d’agriculture qui unissait étroitement et exclusivement l’homme et le cheval. Si on y ajoute les conséquences économiques et sociales de deux guerres en un demi-siècle, on comprend que la campagne donnait parfois l’impression d’être figée dans son passé et comme endormie.
Le réveil s’effectua après la dernière guerre et dans les années 60 lorsqu’apparurent l’agriculture motorisée et le tracteur qui en était en quelque sorte le symbole. Le cheval disparaît et tout ce qui était aux normes du cheval devient obsolète. Les tracteurs et tout ce qui les accompagne, ont des dimensions qui n’ont rien à voir avec les charrettes, les tombereaux et encore moins avec les rabales. Il faut élargir les routes, araser les talus, sacrifier au besoin les portails, les arbres centenaires, les murs le long des routes, construire des stabulations et des hangars pour entreposer tout cet encombrant matériel. Ces bâtiments – il faut le dire – sont le plus souvent inesthétiques et en profond désaccord avec l’environnement. C’était la rançon du progrès et le patrimoine rural en a souffert, mais sa survie n’était pas à l’ordre du jour.
Avec le recul du temps, reconnaissons que cette agriculture moderne, plus rentable et plus efficace, a dessiné un nouveau paysage, d’autres routes, d’autres vignes, des vergers opulents qui sont venus rompre la monotonie des grandes prairies. Globalement, les vieux villages ont profité de cet essor avec l’amélioration et l’assainissement des rues et de l’habitat, la restauration des vieilles maisons, le développement du tourisme. Nous sommes passés dans un autre monde.
Le curieux est que dans ce nouveau décor, la protection du patrimoine rural est apparue comme une évidence et une nécessité. Le modernisme avait fait son chemin et ses dégâts, il était temps désormais de sauver tout ce qui avait fait le charme et la beauté des paysages d’autrefois. De là est née la notion de défense du patrimoine. Au départ, tout est parti d’initiatives individuelles. Puis sont apparues, sous ce nom ou sous un autre, les Associations de Défense du Patrimoine. A Mostuéjouls, nous sommes depuis plus de vingt ans, dans ce mouvement, et dès à présent on peut en apprécier les résultats. En priorité, la restauration des deux églises romanes de Saint Pierre et de Saint Sauveur gravement menacées. Actuellement est en chantier la renaissance du site, à la fois modeste et grandiose, de Saint Marcellin. Ici ou là, beaucoup de choses ont été faites au niveau des fontaines, des lavoirs, des chemins, etc, et tant d’autres restent à faire.
Jusqu’où peut-on aller ? C’est une question légitime qui mérite une réponse nuancée. A l’évidence, il y a d’abord des limites financières. La restauration du patrimoine coûte cher. Les subventions se font rares et les sponsors sont sollicités de toutes parts. On a eu jadis recours aux concerts et aux Foires aux Santons qui ont pris fin mais qui étaient une manne financière intéressante. Faudra-t-il un jour envisager de faire payer les entrées aux Expositions et aux visites guidées ? A un tarif raisonnable, pourquoi pas ? On peut trouver des solutions de travaux économiques, faire appel au bénévolat, créateur de lien social. L’important est que la crise ne vienne pas brider les ambitions et les besoins des associations. Il faudra faire preuve de volonté et d’astuce.
A contrario, on peut affirmer que dans tous les cas, la défense du patrimoine n’aura jamais de fin. Le temps fait inlassablement son œuvre de destruction et il y aura toujours quelque chose à protéger ou à restaurer.
Le Passé a un double sens. Pour certains, c’est ce qui a été et ne nous concerne plus. Pour d’autres, le passé renferme un trésor et est le dépositaire de nos racines. Sans lui, il n’y a ni présent, ni futur. Bien sûr, on ne peut empêcher la marche du temps. Mais dans la mesure de nos moyens, permettre à ce qui a été de continuer à vivre, et en un mot, faire vivre ou revivre le passé. C’est cet idéal qui est à la base de la Défense du Patrimoine. Le patrimoine rural le mérite tout autant qu’un autre.
Le 1er Mai 2017
La fable de la fontaine

C’est l’histoire d’une fontaine qui avait disparu et qu’on avait fini par oublier. Elle avait été construite il y a deux siècles ou plus, près d’un ruisseau qui coule toujours mais qui ne l’alimente plus en eau. La source qui l’approvisionnait s’est perdue et s’est tarie. A présent, la fontaine est vide et à sec.
Elle avait été construite dans une zone de jardins que fréquentaient quotidiennement les gens du village. C’était un endroit très vivant.
Par sa situation, au Sud, la fontaine bordait la partie supérieure du pré de la Fons. Au Nord, elle était en contrebas d’une route qui conduisait autrefois au village, mais qui au fil du temps, était devenue un chemin étroit et sans issue. Cette route avait été remplacée par la voie actuelle d’accès au village plus large et plus carrossable. Finalement, plus personne ne passant devant cette fontaine, elle était tombée dans l’oubli, subissant le sort habituel des zones désertées. Elle a été progressivement envahie de mauvaises herbes, de ronces et d’arbustes qui ont déchaussé ses pierres. Puis elle a servi de dépotoir à toutes sortes de déchets. Tant qu’à disparaître, autant qu’elle serve à quelque chose. Elle est devenue une décharge …
Pourtant, à l’origine, cette fontaine avait eu sa raison d’être et son histoire. A vrai dire, son architecture fait plutôt penser à un bassin ou à un lavoir, de forme rectangulaire, rustique, fait de grosses pierres taillées. Sa seule fantaisie tient à la présence, sur sa droite, d’une vasque arrondie en pierre qui collectait l’eau de la source et la reversait ensuite dans le lavoir. Dans le mur situé au Nord, a été creusée une niche destinée sans doute à recevoir une sculpture. Une statuette peut-être. Mais nul n’a le souvenir que cette fontaine ait jamais été le lieu d’une quelconque dévotion. Depuis longtemps cette niche est vide. Plus à droite, se trouve une autre niche murale en angle avec une pierre plate qui aurait pu servir de siège ou de rebord pour poser quelque chose.
Mais quoi ?
Dans leurs souvenirs, les plus anciens du village pensent que ce lavoir aurait servi autrefois à laver les toisons de laine après la tonte des brebis, d’autres qu’il aurait servi plus récemment à laver les tripes avant la fabrication du boudin le jour de l’abattage du cochon. D’autres enfin se rappelaient y avoir vu une cressonnière à l’époque de la dernière guerre. On se souvenait aussi qu’au-dessus du lavoir, et au lieu de l’alimenter, la source avait envahi le chemin qui était devenu boueux et glissant. C’était sa façon de se venger de l’ingratitude des hommes et de se rappeler à leur souvenir.
Mais au fait, cette fontaine avait bien dû avoir un nom. Mais lequel ? Faute de trouver, on envisagea de l’appeler « la fontaine sous-sterne » mais ce nom ne parlait à personne. Jadis, d’après les anciens, on disait « la fons sous steyrolle » ou quelque chose d’approchant. Pourquoi ? Difficile d’en retrouver l’étymologie. « La fons-sous-ça-de-Layrolle » qui par contraction serait devenu « la fons sous steyrolle » peut-être … ? A défaut on pourrait aussi lui donner un nouveau nom : « la fontaine des Arziolles » ! Ou autre chose en fonction de l’imagination de chacun. Mais en définitive il semble que l’on veuille lui restituer son ancien nom, mi-français mi-patois, et c’est bien.
Une fable se termine en général par une Morale. Vous vous rappelez « Patience et longueur de temps … ». Oui, il fallut à cette fontaine beaucoup de temps et de patience avant que l’on s’intéresse à elle. Ce travail vient d’être pris en main par l’A.D.P.C.M. Cette Association qui existe depuis presque vingt ans regroupe les gens du pays abonnés ou bénévoles. Elle a fait ses preuves et a grandement contribué à restaurer et à sauver des bâtiments prestigieux de notre patrimoine gravement menacés, entre autres, N.D des Champs, Saint-Sauveur, l’ermitage de St-Marcelin, etc. Aujourd’hui, c’est le tour de la fontaine dont nous venons de parler longuement. Il a été décidé de la ressusciter, de la restaurer, de la nettoyer, de la dépouiller de tous ces ornements de honte dont elle avait été parée pendant des années, bref de la faire revivre comme un véritable témoin du passé de notre village. Cette nouvelle étape de l’A.D.P.C.M montre que cette Association continue sa route. Beaucoup a déjà été fait mais dans ce domaine, rien n’est jamais fini.


La Fontaine après restauration, Janvier 2019

L’eau retrouve le chemin de la fontaine … ! Mai 2022
La Rabale

La Chapelle N.D. des Champs vient de servir de cadre à deux magnifiques expositions de photos : au cours de l’été 2015, des extraits de la célèbre collection de Georges ANCELY et en 2016, 80 photographies anciennes en noir et blanc des villages de la Vallée restituant, avec réalisme et nostalgie, le patrimoine et la vie des gens du pays de la fin du 19ème siècle à nos jours. Très belle rétrospective qui a connu auprès de très nombreux visiteurs le succès qu’elle méritait.
Pour ma part, j’aimerais revenir sur la présence inattendue, dans cette exposition, d’un vieil engin agricole disparu de notre souvenir, la rabale. Elle avait été placée à N.D. des Champs en appui contre les marches du Maître-Autel et l’on sentait qu’elle avait fait l’objet, pour la circonstance, d’une bonne toilette et d’une remise en état. Chacun avait le sentiment, en la voyant, d’une véritable résurrection car les rabales ont disparu de notre décor, il y a 50 ans environ, en même temps que les chevaux. Il y avait à Mostuéjouls, jusqu’après la guerre 39-45, une vingtaine de chevaux, un cheval par exploitation agricole, et la rabale faisait partie du matériel ordinaire. C’était un traineau qui prenait peu de place, qui permettait d’accéder aux endroits les plus escarpés, inaccessibles aux charrettes, et qui permettait enfin de transporter des charges peu importantes.
Aujourd’hui, non seulement les rabales ne circulent plus dans nos rues mais elles ont, pour la plupart, physiquement disparu, dégradées par le temps et transformées pour certaines en bois de chauffage : on peut donc dire que la rabale de N.D des Champs est une rescapée et un objet de collection ou presque.
Voici à ce sujet un souvenir d’enfance. C’était pendant la guerre de 39-45 et au cours d’un de ces hivers terriblement rigoureux dont on a souvent parlé. À Comayras, un brave homme était mort. Il avait neigé et il gelait à pierres fendre. Les habitants du village transis de froid et réunis au Serre assistaient de loin à l’arrivée du cercueil. Des hommes portèrent à bout de bras le cercueil, de son domicile jusqu’au ruisseau au bas du village de Comayras, en prenant mille précautions car le chemin était extrêmement glissant. Une fois le ruisseau franchi, on installa le cercueil sur une rabale qui attendait là, attelée à un cheval, et le convoi se mit en route.
Au départ, la pente était relativement douce et le parcours s’effectua sans trop de problème. Mais la fin du parcours et la montée jusqu’au Serre était d’une extrême difficulté en raison de la pente très raide qui était recouverte d’une épaisse couche de verglas. Arrivé en bas de la côte, le cheval conduit à la bride par son propriétaire prit son élan. Au tiers de la côte, le cheval s’arrêta net, et petit à petit se mit à glisser et à partir à reculons, non seulement le cheval, mais aussi la rabale avec le cercueil, qui par bonheur, resta à l’intérieur. Ce fut un moment de panique. Faute d’une autre solution, on recommença l’opération. Nouvel échec … À la troisième ou quatrième tentative, les hommes venus assister à l’enterrement estimèrent devoir intervenir. À la pioche, on piqua la couche de verglas pour que le cheval puisse trouver une prise. À l’arrière du traineau, deux ou trois hommes s’installèrent pour pousser la luge et éviter que le cercueil ne s’en aille. Bref, dans ce froid polaire, le cheval écumant de sueur, parvint dans un violent et ultime effort à franchir les derniers mètres et à atteindre la route. Fin du premier Acte.
On procéda alors à une deuxième opération. En effet, attendait patiemment au Serre, depuis le début, une calèche attelée à un cheval orné d’un harnais de cérémonie. Le cercueil quitta la rabale et fut placé sur la calèche. Une fois l’opération terminée, le cortège se mit en route en direction de l’Eglise, la Croix en tête, le Curé et les enfants de chœur (dont j’étais), la calèche et derrière elle la famille en deuil et les habitants du village. Et la rabale disparut de la circulation … Dans la hiérarchie des moyens de transport, la rabale était au bas de l’échelle. Il était donc exclu de conduire un cercueil dans une luge jusqu’à la porte de l’Église. Un moyen plus noble s’imposait. C’était le rôle de la calèche. Exit la rabale …
La morale de cette histoire vraie n’est pas de vouloir établir de comparaison entre la rabale et la calèche, l’une pour les corvées et l’autre pour les honneurs. Ce serait trop facile. Non. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que la rabale de N.D des Champs ne parte pas à la casse, et qu’on lui trouve un lieu où elle puisse passer une longue retraite en récompense de ses bons et loyaux services et en souvenir de toutes celles qui ont disparu.
En conclusion, comme le montre cette exposition de photos et également cette histoire, notre Patrimoine est menacé. Il est menacé d’une chose simple, il est menacé tout simplement de disparaître, comme les rabales. Pour le protéger, il faut que des hommes et des femmes montent la garde. Ce devoir est l’affaire de tous.
À Mostuéjouls, le 25 Août 2016
NB : tout au long de cet article le mot rabale a été orthographié avec un a. En réalité, en occitan, la véritable orthographe est « rebale » du verbe Rebalar qui signifie « traîner ». En patois parlé, le « e » se prononçant « a » la rabale est la transcription orale de la rebale.
