L’église de Ploaré sous la neige
Pourquoi ai-je fait précéder ce chapitre sur les Histoires vécues, d’une photo de l’église de Ploaré sous la neige ? C’est tout simple. Un jour, il y a de cela au moins 25 ans, Madeleine en revenant de faire ses courses me dit :
« Tu ne sais pas ? Il y a un très beau tableau de Gaston Pottier en vente chez Vauzelles. iI est très original. Il représente l’église de Ploaré sous la neige ».
Sans me le demander, j’ai tout de suite compris que ce tableau lui plaisait et qu’elle aurait aimé que nous en fassions l’acquisition. A sa façon, ce tableau racontait un épisode hivernal rarissime à Douarnenez. Subitement cet hiver-là, la neige était tombée en abondance. Je me rappelle que les ambulances et les voitures étaient restées bloquées une partie de la nuit à Plonevez-Porzay. C’était donc un souvenir que nous avions vécu, mais le peintre l’avait traité à l’ancienne de sorte qu’il était difficile de le dater avec précision. Cela ajoutait à son charme. J’avais eu l’occasion de soigner à deux reprises Gaston Pottier à son domicile. Il était déjà âgé, c’était un brave homme, un peintre figuratif assez prolifique, très connu à Douarnenez. Ses toiles ornaient les murs de nombreuses maisons de la ville. L’église Saint-Herlé de Ploaré était notre église paroissiale, nos enfants y avaient fait leur communion et certains de nos petits-enfants y ont été baptisés. En haut de la colline son magnifique clocher s’élance vers le ciel.
Je réponds donc à Madeleine de descendre vite en ville et de faire l’achat de ce tableau. Elle part aussitôt et je la vois revenir une demi-heure plus tard dépitée. Un acquéreur était passé. Le tableau était vendu. Nous en avons donc fait notre deuil mais nous en parlions souvent cependant.
Tout récemment, il y a 3 mois environ, le tableau est réapparu chez un galeriste de la ville. Elément d’une succession, il était à nouveau en vente. De Mostuéjouls, l’achat n’était pas facile à négocier. Notre fils Philippe et son épouse Catherine voulurent bien s’en charger. Trop tard ! Convoité par un collectionneur amateur d’art local et même régional, le tableau s’était à nouveau envolé. Il était dit que nous n’en serions jamais les heureux propriétaires. Sa photo figurera dans ce blog. C’est bien le moins que je puisse faire pour lui et pour nous. J’en ai de la peine pour Madeleine même si je sais qu’aujourd’hui, elle ne pourrait ni l’apprécier ni même le voir vraiment. Mais il a été et il restera un moment de notre vie.
Ce 1er octobre 2023
Mots d’Enfants
Avec nos 12 petits-enfants, Ana et Julia, Julien, Yann et Marine, Pierre, Marie et François, Gaël, Laurent, Rose et Hélène, je ne devrais pas avoir de mal à remplir cette rubrique. Je commencerai par Pierre, Marie et François, les enfants de Anne et de Stéphane.
Par Pierre d’abord, l’aîné.
Nous avions au bout du jardin, un poulailler avec trois ou quatre poules, et même un couple de pigeons, que nous avions ramenés de Mostuéjouls, cadeau de Louis Garlenq. Madeleine par ailleurs se faisait un plaisir d’aller chercher des poules au marché de Pont-Croix, des poules pondeuses autant que possible. Lorsque les enfants venaient là pour les vacances, Madeleine leur demandait d’aller chercher les œufs. Ils partaient tous les trois. Madeleine les surveillait de loin. Ils ouvraient la porte et entraient dans le poulailler. C’était ensuite la collecte méticuleuse des œufs. Ils ressortaient, prenaient grand soin de fermer la porte du poulailler et on les voyait revenir. C’était Pierre qui portait le panier en osier avec les œufs à l’intérieur et avec autant de soin et de cérémonie que s’il s’était agi du Saint-Sacrement. C’était un rituel familial et nous avons une photo de Gaël et de Laurent ramenant aussi les œufs dans leur panier à une autre occasion. Mais un jour, Pierre arrive auprès de sa grand-mère et lui déclare :
– « Tu sais, Mamie, tes œufs, ils ne sont pas bons.
– Mais si, voyons, ils sont tout frais.
– Non, Mamie, ils ne sont pas bons, ils n’ont pas de date ! …. ».
L’histoire de Marie est différente. Les enfants étaient à la maison pour leurs vacances. J’arrivais probablement de l’hôpital vers 13h30 pour le déjeuner et en passant la porte, je dus dire : « Allez, à table tout le monde ! ». Lorsque je vis les enfants courir dans le couloir en pyjama, je compris tout de suite qu’il y aurait du retard. Marie sentit venir l’orage et anticipant sur les événements elle me lança du haut des escaliers : « Mais, Mamie, elle a eu du boulot ! ». Ce qui voulait dire : « Toi, tu arrives pour mettre les pieds sous la table, c’est facile, mais Mamie, elle n’arrête pas depuis ce matin ! ». Féministe en herbe, Marie venait préventivement prendre la défense de sa grand-mère. Et pour le cas où je n’aurais pas bien entendu, et avec une assurance incroyable pour une petite fille de 6 ou 7 ans, elle me lança une deuxième fois et toujours du haut des escaliers, ce qui lui donnait une certaine force :
– « Parce qu’elle fait le boulot, Mamie !! » …
La phrase est restée célèbre, et à partir de là, je ne pouvais plus rien dire. Il est vrai que Madeleine n’arrêtait pas. Elle était née le 1er Mai, le jour de la fête du Travail et cela l’avait marqué pour la vie, c’est du moins ce que l’on se plaisait à supposer.
Au tour de François maintenant que nous créditerons de deux histoires. François avait la mauvaise habitude de se lever pendant les repas pour aller aux toilettes. Anne, sa Maman, de guerre lasse, lui dit un jour : « François, cesse de te lever pendant les repas. Prends tes précautions avant ! ». La leçon porta ses fruits pendant quelques temps, mais un jour, François quitta la table pendant le repas. Sa maman aussitôt lui demanda où il allait. Il répondit : « Je vais prendre mes précautions » … !
La seconde histoire se passe encore pendant le repas. François n’arrivait pas au moment du dessert à se déterminer sur le choix de son gâteau. Il aurait bien voulu les deux. Sa maman lui expliqua qu’il ne pouvait pas prendre les deux. Elle lui dit : « C’est très simple. C’est soit l’un ou soit l’autre. Tu comprends ? Alors lequel tu choisis ? ». Et François répondit : « Je choisis « soit l’un » !
François encore,
Cette histoire m’a été racontée récemment par sa maman. A leur arrivée à Lavaur, les parents de François entreprirent dans leur nouvelle maison d’importants travaux de rénovation. Entre les coups de marteau, les chutes de pans de cloison, le raclement des pelles, le va et vient des maçons, les nuages de poussière de plâtre, François qui à l’époque était haut comme trois pommes essayait de trouver sa place dans ce qui lui paraissait être un véritable cataclysme. Il décida de résumer la situation avec ces deux mots « GROS TRAVAUX », formule qu’il répétait à tous les visiteurs pour qu’ils prennent vraiment conscience de l’ampleur du chantier et de la précarité de sa situation.
Peu après, il fut scolarisé. Aux portes de l’hiver survint un épisode de froid et de neige. La Maîtresse appela François, le soupçonnant peut-être de n’avoir jamais vu la neige. « François, viens vite voir, il neige ! » François leva les yeux vers le ciel glauque qui déversait dans la cour de l’École des cataractes de flocons serrés. En expert, il commenta doctement : « GROS TRAVAUX ! »
Les mots d’enfants sont drôles mais ils nous en disent parfois long sur ce qu’ils ressentent, sur ce qu’ils sont déjà, ou sur ce qu’ils vont devenir. Sont-ils conscients de leur humour ? Sur le coup, non, mais à distance peut-être, ils peuvent se reconnaître.
J’aimerais finir sur une répartie de Marine, une autre de nos petites-filles. En voiture sur la route de Douarnenez, elle dut être agacée par les remarques incessantes de sa mère, Françoise. Pour lui répondre sans vouloir la blesser, elle trouva la formule la plus proche phonétiquement de ce qu’elle voulait lui dire. Elle lui décocha gentiment : « Tu es « Audierne » …
Ah, l’humour des enfants …?
Mostuéjouls, ce 1er Novembre 2020
« Le Baccalauréat »
Le Baccalauréat mérite de figurer au chapitre des histoires vécues, car s’il est devenu un événement national, il est aussi un événement familial. Parents de quatre enfants, mon épouse et moi en avons fait l’expérience.
Le Baccalauréat a été créé par Napoléon Ier en 1808. La première session a eu lieu en 1809. Elle a réuni 31 élèves, uniquement des garçons. Les filles ne seront reconnues aptes à y participer que vers la fin du XIXème siècle, et encore au compte-goutte. En deux siècles, le baccalauréat a évidemment beaucoup évolué. Qualitativement puisqu’il s’ouvre aujourd’hui à de très nombreuses matières ; les Lettres, les Langues, les Mathématiques, les Arts, le Cinéma, les Sciences, le Droit, des filières professionnalisantes, etc. Quantitativement aussi au point de devenir un événement national, plus de 700.000 candidats prévus en 2025.
Le Baccalauréat clôt les études secondaires. A une certaine époque, il se déroulait en deux étapes. A la fin de la classe de première pour passer en Terminale, puis un deuxième examen à la fin de la Terminale pour rentrer en Fac. Tout cela a changé au fil du temps. Tout comme le pourcentage de reçus qui était naguère de 60% et qui est aujourd’hui de 92%… Autant dire que le Baccalauréat a perdu beaucoup de sa valeur.
Mon épouse a été pendant des années Professeur d’Anglais. Les langues n’avaient pas dans l’enseignement, le même statut que certaines matières dites nobles comme le Français, les Maths ou la Philo. Mais outre le fait qu’elle adorait l’Anglais et l’Angleterre, mon épouse savait que le jour du Bac, les langues pouvaient être pour les candidats un atout de premier ordre qui pouvait rapporter gros. A titre d’exemple, et en bénéficiant des coefficients, nos trois filles ont engrangé chacune une quarantaine de points, uniquement grâce à l’Anglais et à l’Espagnol.
Mais il y avait aussi et c’est un des arguments de cet article, les matières de rattrapage que l’on appelait aussi les matières à option, la couture ou le dessin. Notre fils Philippe s’illustra dans ce domaine. Les quelques semaines qui avaient précédé son Bac, il avait été pris de passion ( entre autre! ), pour le dessin. A longueur de temps, on le voyait dessiner des fenêtres, avec un luxe de détails inimaginables. Elles s’ouvraient, se fermaient, les carreaux étaient découpés au cutter. Des œuvres d’art. Il a donc pris le dessin comme matière à option pour gagner quelques points. Le jour de l’examen, il déclara à ses sœurs pendant le petit déjeuner : « De toute façon, et quelque soit le sujet, je dessine une fenêtre ». Elles s’écrièrent : « Ah oui, même si on te demande de dessiner un hippopotame ou une girafe ?…« – Parfaitement, dans tous les cas, je dessine une fenêtre!!! »
L’épreuve avait lieu à Quimper. Les candidats une fois rassemblés dans la salle d’examen, la professeur chargée d’assurer la surveillance énonça le sujet : « Faire un dessin qui exprime la notion de Passage ». Pour Philippe, évidemment une fenêtre. Au bout de dix minutes, à court d’inspiration, on vit sortir les premiers candidats. Philippe avait déballé tout son matériel. Penché sur sa table, il fignolait tous les détails de la fenêtre, les angles d’ouverture, les gonds, le découpage de tous les carreaux au cutter. Il était finalement le seul dans la salle d’examen et le professeur commençait à trouver le temps long. Philippe décrocha ses quatre points. Il a toujours estimé qu’il en aurait mérité six, compte tenu de la qualité de son œuvre, mais le plafond était de quatre points. Enfin, il eut son Bac, c’était le plus important.
En d’autres temps, je connus moi aussi une autre aventure. A l’oral du Bac de Philo, il y avait une épreuve de Maths. Ce n’était pas mon fort. Par lettre alphabétique, on ne tarda pas à m’appeler. Je me préparais à ma table, lorsque je sentis une odeur de brûlé. Puis on vit apparaître de la fumée qui s’échappait de l’estrade où se trouvait le professeur. C’était un grand fumeur, son mégot était passé à travers les planches de l’estrade et avait mis le feu à du papier qui se trouvait là sans doute depuis longtemps. Le professeur m’appela. On retira la chaise, le bureau, on déplaça l’estrade et on se mit à piétiner les papiers pour éteindre le feu. Une fois l’opération terminée, on remit en place l’estrade, le bureau et la chaise, et je l’entendis alors me lancer ; « Et bien, c’est pas mal tout ça !..Vous pouvez disposer… » Je n’en croyais pas mes oreilles..! L’épreuve de Maths avait été remplacée par l’épreuve du feu…J’eus moi aussi mon Bac mais j’avais contribué à éteindre un incendie qui aurait pu ravager le lycée Charlemagne et qui sait, peut-être même tout Paris…? J’estimais que ça aurait mérité un Bac avec une mention très spéciale. Mais voilà ce cas n’avait pas été prévu par Napoléon…Je dus me résigner.
Le 14 juillet 2025, A.B
« La B.A.C »
Le Bac est le diminutif du Baccalauréat. La B.A.C est le sigle de la « Brigade Anti Criminalité ». Le titre d’une nouvelle histoire vécue…Elle remonte à 2009, il y a une quinzaine d’années. Madeleine et moi partagions notre retraite débutante entre Douarnenez, Mostuéjouls et Barbate. Nous étions à Mostuéjouls où devaient nous rejoindre deux de nos petits-enfants, Gaël et Rose, en l’absence de leur Maman en voyage au Japon. Ils venaient d’Arras. Un TGV direct devait les amener à Béziers où ils trouveraient une correspondance pour Millau. Vers 18h, je les attendais donc à la gare de Millau, mais à l’arrivée du train, il n’y avait ni Gaël, ni Rose…Surprise et inquiétude ensuite car il s’agissait de deux enfants mineurs. A la gare de Millau, aucun renseignement valable. Aucune possibilité non plus d’appeler directement la gare de Béziers. Désormais, il faut passer par une plateforme. Les plateformes
sont quelques part en France quand elles ne sont pas à l’étranger, et localiser Millau est quelquefois tout un problème. Bref, nous essayons de joindre leur père à Arras sans succès. J’appelle leur Maman. A peine ai-je le temps d’ouvrir la bouche qu’elle me dit « Mais Papy, je suis au Japon. Raccrochez vite car vous risquez d’avoir une grosse note de téléphone!! » Je me demande d’ailleurs pourquoi j’avais pris la peine de l’appeler, sauf à l’inquiéter pour rien. Nous essayons d’appeler le frère de Gaël, Laurent. Il est avec Hélène, sa petite sœur, dans le train qui les amène en Bretagne chez leurs autres grands-parents. Finalement, nous appelons Anne à Toulouse qui prend l’affaire en main. Nous alertons tout le monde, c’est ça les grandes familles.
Mais que s’est-il passé ? Les explications nous sont parvenues longtemps après. Aujourd’hui, avec le sourire, Rose nous raconte qu’à leur arrivée à Béziers, le train pour Millau était bien à quai, prêt à partir. Mais elle a demandé à son frère Gaël d’aller lui acheter un paquet de bonbons. Quand il est revenu, le train pour Millau était parti. Par chance, il y avait un deuxième départ pour Millau beaucoup
plus tard, un train de nuit, Béziers – Paris. Ils sont donc arrivés à Millau à la tombée du jour. Il n’y avait personne pour les attendre, et la gare était quasiment vide.
Gaël a pris alors l’initiative de visiter les lieux, à la recherche de quelqu’un. Et c’est là que la B.A.C entre en scène. Un inspecteur de la B.A.C en train de surveiller les lieux tombe sur Gaël.
– Bonjour, qu’est ce que tu fais là ?
– Je cherche quelqu’un.
– Qui ?
– Je ne sais pas.
– Comment t’appelles-tu ?
– Gaël Baldous.
– Qu’est ce que tu fais à Millau ?
– Je vais en vacances chez mes grands-parents.
– Où habitent-ils ?
– Par ici, près de Millau. Mais je ne me souviens plus où exactement.
– Et ton père où est-il ?
– Dans le Nord, à Arras.
– Ah oui, à Arras…Et ta mère ?
– Au Japon.
– Ta mère est au Japon…
– Et le reste de ta famille?
– En Bretagne…
– Ah oui, il y en a un peu partout. Et bien, tu ne sais pas, tu vas me suivre et tu m’expliqueras tout cela au comissisariat. Suis-moi.
– Oui mais, attendez, il y a aussi ma petite sœur Rose.
– Où est-elle? Là, devant la gare, avec nos bagages.
L’inspecteur de la B.A.C comprit très vite que le rôdeur n’était pas un petit voyou comme il l’avait pensé au départ. Il réalisa qu’il avait sur les bras deux enfants perdus. L’enquête poursuivait son cours. On localisa très vite les Baldous à Mostuéjouls. Il ne me restait plus qu’à aller cueillir mes deux petits-enfants au commissariat de Millau. Ils n’étaient pas menottés, contrairement à ce que j’ai dit au téléphone à leur grand-mère de Douarnenez pour la taquiner. Ils m’accueillirent avec le sourire et les agents de la B.A.C parurent satisfaits d’être débarrassés de ces deux « paquets » encombrants. Leur séjour se passa très bien, et à leur départ, ils nous laissèrent près du téléphone ce petit mot : « On vous aiment!! ». Il y avait encore des progrès à faire en grammaire. Ce serait pour une prochaine fois mais c’est l’intention qui compte.
Le 14 juillet 2025, A.B
Charivari à la FNAC
C’est une histoire brève et pour l’étoffer, j’ai imaginé de la faire précéder de quelques considérations sur les prénoms. Vous allez comprendre pourquoi. L’étymologie des noms de famille est assez largement connue. Pour les prénoms c’est différent. Ils existent depuis longtemps. On les a inventés pour mieux identifier les enfants d’une fratrie. À partir de l’ère chrétienne, on les a puisés dans le martyrologe des Saints. Des apôtres d’abord à l’origine des prénoms les plus connus et les plus courants. Des disciples ensuite, puis des martyrs, des fondateurs des grands ordres religieux, des évêques et jusqu’à de modestes abbés qui ne sont connus et vénérés que localement. En Bretagne, la tradition persiste encore aujourd’hui de donner à un nouveau-né le nom du Saint patron de la paroisse : Ronan, Clet, Corentin, Herlé, Brieuc et tant d’autres du calendrier breton. Je n’en dirais pas autant du Rouergue que je connais bien et où tant de villes et de villages portent le nom d’un Saint : Saint-Affrique, Saint-Léons (avec un s), Sainte-Eulalie, Sainte-Enimie, Saint-Chély, Saint-Préjet, Saint-Marcellin, Saint-Sauveur … rarement donnés aujourd’hui même si l’on constate un certain goût pour les prénoms anciens. Les prénoms laïcs sans référence religieuse ont également pris leur place. Pendant longtemps, on ne pouvait donner que des prénoms officiellement homologués. Cette clause a disparu. Il y a eu l’effet du cinéma, des séries télévisées, de certains chanteurs de variétés qui ont mis à la mode des prénoms à consonance anglo-saxonne. Mais la vague la plus forte est représentée aujourd’hui par les prénoms arabes, maghrébins surtout, africains, asiatiques et autres. La concurrence est telle qu’actuellement les prénoms n’obéissent à aucune règle ni à aucune orthographe. On se demande parfois s’ils ne sont pas carrément inventés par les parents. Il est vrai qu’avec les 26 lettres de l’alphabet, les combinaisons sont infinies. Bref, les prénoms accompagnent à leur façon notre Histoire.
Et Saint Alexis, me direz-vous ? À l’origine, la légende le situe à Rome. Au fil du temps, il a dû être annexé par l’Église orthodoxe en raison de sa consonance slave. Puis il a dû suivre le chemin des grandes épidémies, d’Est en Ouest, pour arriver jusqu’à nous. Il a fallu qu’il tombe un jour sur la tête d’un de mes ancêtres. C’était très précisément le 27 avril 1770 à Mostuéjouls, à l’occasion de son baptême. Son parrain était un certain Antoine Alexis de Vezins qui a ainsi légué son prénom Alexis à son filleul. Et depuis, de génération en génération, il est parvenu jusqu’à moi. Alexis est resté, pendant très longtemps, un prénom étrange et rare qui nichait dans certaines familles sans que l’on sache toujours pourquoi. J’en ai rencontré trois à Douarnenez pendant toute ma carrière, et je pense même avoir été pendant des années le seul médecin du Finistère à porter ce prénom.
Voilà pour le préambule, mais venons-en maintenant à ma courte histoire qui date d’il y a 25 ans au moins.
J’étais un jour en train de faire des emplettes dans un magasin de Nantes, la FNAC je crois. J’étais à la librairie en train de consulter un livre. Arrive un gamin de 6 ou 7 ans, je ne sais pas, assez nerveux, le cheveu en bataille, qui semble ravi de découvrir une si belle aire de jeux pour lui tout seul. Il prend l’un après l’autre deux ou trois livres de poche qu’il lance en l’air. Puis il avise un rayon de livres clairsemé. Avec son avant-bras, il balaye l’étagère et en un instant, il la vide et tous les livres se retrouvent parterre. Sans bouger, j’attends la suite, inquiet de savoir ce qu’il va inventer. Il me regarde. Il hésite. Mais je ne tarde pas à entendre : « Tac, tac, tac, tac … ». C’est le bruit des talons hauts de sa mère. A entendre son pas décidé, je devine qu’elle vient siffler la fin de la partie. Elle juge très vite la situation. Les livres sont éparpillés sur le sol autour de moi et elle s’écrie furieuse, je devrais dire, elle hurle : « ALEXIS !!!! » … Je sursaute évidemment. Elle commence à ramasser les livres en râlant, avec l’aide d’une vendeuse.
– Je crois que je vous ai fait peur, Monsieur
– Oui, car je m’appelle Alexis et je ne voyais pas comment une personne que je ne connais pas pouvait connaître mon prénom et m’appeler de cette façon …
– Non, c’est mon fils qui s’appelle Alexis
– Oh ! Oui, j’ai bien compris maintenant …
– Vous étiez comme lui à son âge ?
– Je ne me souviens pas. Il faudrait demander à ma Mère mais elle n’est plus de ce monde
– Excusez-moi
– Non, cela me fait plaisir de voir que mon prénom redevient à la mode !
J’ai vu partir Alexis sous les bras de sa mère, embarqué comme un paquet de linge sale. Il gigotait ses jambes d’impatience. Je ne l’ai jamais revu bien sûr. Voilà l’histoire. Il est vrai que depuis, petit à petit, le prénom Alexis est redevenu à la mode, en attendant peut-être qu’un jour il redevienne ringard.
Le 17 février 2020
Jour de la Saint Alexis

Douarnenez – Abel Villard
Un accident de vélo …
Notre fils devait être en Seconde au Lycée Sainte-Anne à Quimper. Une sortie de classe est organisée quelque part dans la presqu’île de Crozon au pied du Menez Hom. Chaque élève doit apporter son vélo. L’hébergement s’effectue pendant toute la semaine dans un Centre de vacances. Les cours y sont assurés.
Un matin, mon épouse reçoit à notre domicile à Douarnenez vers 10 ou 11 heures, un coup de téléphone lui annonçant que notre fils vient d’avoir un grave accident de vélo. Il a fait une chute dans une descente dangereuse. Il a un traumatisme crânien. Il est dans le coma. Une ambulance le transporte en urgence à l’Hôpital de Douarnenez. C’est un de ses camarades qui a été chargé de nous prévenir. Mon épouse m’appelle aussitôt à l’Hôpital où j’étais en train de faire ma visite en Médecine 3. J’accuse le coup et mon équipe autour de moi est bouleversée. Je descends immédiatement aux Urgences pour prévenir, et de là je file à mon domicile retrouver mon épouse.
Elle est dans la chambre de notre fils. Elle est debout, et s’occupe courageusement à préparer les lieux, sans savoir exactement que faire. Je la sens prête au pire, peut-être d’avoir à s’occuper désormais d’un garçon plus ou moins handicapé. En un rien de temps notre vie vient de basculer et nous pressentons impuissants que notre avenir va peut-être devenir terriblement différent. Je lui demande de me raconter dans le détail le message téléphonique. Elle n’ajoute rien à ce qu’elle m’a déjà dit. Au téléphone, c’était clair et précis et c’était bien un camarade témoin de l’accident. Je la quitte et je retourne rapidement à l’Hôpital.
Aux Urgences, je trouve Anne-Marie Belliard, responsable de cette unité d’accueil et de soins, et par un improbable hasard, le maire de Douarnenez Michel Mazéas qui est là, non pas pour un problème personnel mais pour des raisons d’ordre administratif en rapport avec ses fonctions de Président du Conseil d’Administration. Je leur explique. Je les sens graves et inquiets. Nous attendons dans un silence plus ou moins gêné. Le temps s’écoule. Au bout d’une demi-heure, pas d’ambulance. Au bout de trois quarts d’heures, toujours rien. Nous appelons alors les ambulances de Crozon et de Chateaulin pour nous renseigner. Elles n’ont pas été contactées pour l’évacuation d’un blessé ni sur l’Hôpital de Douarnenez ni sur l’Hôpital de Quimper. J’appelle alors le Lycée Sainte-Anne à Quimper qui n’est pas au courant et me communique le numéro de téléphone du Centre de vacances que j’appelle aussitôt.
J’ai en ligne la responsable du Centre de vacances. Je me présente et lui explique que je suis aux Urgences à l’Hôpital de Douarnenez dans l’attente de mon fils. Elle ne comprend pas ce dont je parle. Je lui raconte alors l’appel téléphonique que nous avons reçu ce matin. Elle tombe des nues.
– Mais Docteur Baldous, il n’y a eu ce matin ni randonnée en vélo, ni accident, et votre fils va très bien. Il est en train de déjeuner avec ses camarades. Il est en bonne forme, tenez, je vous le passe !!
– Allo, Papa, qu’est-ce qui se passe ?
Je lui raconte.
– Mais qui a pu faire ça ? Non ! Rassure-toi et va rassurer Maman, ça se passe bien et je vais très bien. N’ayez pas d’inquiétude.
Je suis sidéré. Anne-Marie Belliard et Michel Mazéas sont consternés mais soulagés. Michel Mazéas qui a tout un passé d’enseignant, me dit qu’avec les adolescents il faut quelquefois s’attendre au pire. C’est bien le cas. Je les remercie et je les quitte pour aller rassurer ma femme.
J’avais à peine ouvert la porte de la maison qu’elle me dit : « Alors ? » et je lui réponds maladroitement « Ce n’est rien ».
– Ah bon, fait-elle, ce n’est pas grave ! Il n’est pas gravement blessé ? Oh ! Mon Dieu, quelle chance !
– Non, ce n’est pas ce que je veux dire. En fait, il n’y a pas eu d’accident … Il n’y a eu aucun accident, c’est une fausse nouvelle !
Comme si elle était foudroyée, ma femme s’assoit d’un coup et éclate en sanglots.
– Non ! Ce n’est pas possible ! Comment peut-on faire une chose pareille ?
L’histoire s’arrête là. C’est une histoire authentique comme toutes celles de cette rubrique. Ses raisons, on les devine. Sûrement pas une vengeance. Peut-être une jalousie sur fond de dépit amoureux, une fanfaronnade pour se rendre important, un pari, une bêtise d’adolescent et, à l’évidence, un geste totalement inconscient. Peu importe. Nous n’avons été à l’origine d’aucune enquête pour connaître l’auteur et les raisons de ce coup de fil. Il est possible qu’il y ait eu une enquête interne. Nous n’avons pas cherché à en savoir le résultat. Je pense que les échos de cette histoire sont sûrement arrivés jusqu’à l’auteur de cet appel et cela aura suffi pour qu’il en mesure la gravité. Je suppose que notre fils le sait mais il n’a jamais voulu nous le dire. Mais je puis témoigner que ce fut une épreuve douloureuse et très cruelle.
L’après-midi, mon épouse et moi avons éprouvé le besoin de monter jusqu’au Centre de vacances pour voir notre fils. Nous leur avons apporté à tous, des crêpes et des galettes bretonnes. Je crois qu’à ce moment, nous étions tout simplement des parents, et nous avions besoin de nous rassurer pour surmonter ce choc.
Mais en pensant à mon épouse, si meurtrie et si bouleversée sur le coup par cette histoire, peut-être dois-je dire en terminant, qu’il lui est impossible aujourd’hui de s’en souvenir et que malheureusement ce n’est mieux ni pour elle ni pour moi …
Ce 13 février 2020
Une naissance en vitesse et en fanfare
À l’entrée de l’Intermarché où je me rendais, quatre hommes, jeunes, approchant la quarantaine sont en grande conversation. On sent qu’ils viennent de se revoir et qu’ils ont plaisir à être ensemble. Lorsque je sors de ma voiture, l’un d’eux me regarde avec insistance. Il se détache du groupe et vient vers moi. Je l’avais reconnu.
– Vous vous souvenez de moi ?
– Oui, bien sûr car tu ressembles terriblement à tes frères
– Et vous vous souvenez de mon histoire ?
– Oh, oui !
La voici, en quelques lignes. Sa Maman était dans son huitième mois de grossesse, lorsque je suis appelé d’urgence à son domicile, au milieu de la nuit. Je me précipite. Je constate en arrivant qu’elle vient d’accoucher, seule dans son lit. Le bébé est entre ses jambes. Il geint faiblement. Je ligature et je sectionne le cordon ombilical. Je tente de désobstruer le bébé et de stimuler sa respiration. Et finalement, faute de moyens et de résultats, je l’emballe dans une serviette et je file à l’hôpital. Je me mets au volant de ma voiture. Je le couche en travers, directement sur mes cuisses, sa tête à droite, ses jambes à gauche. Je garde encore le souvenir du contact physique de ce petit corps chaud et un peu flasque qui luttait pour vivre. Je démarre en trombe. J’avais à l’époque une Renault R8 équipée d’un moteur à l’arrière dont j’appréciais beaucoup les reprises et les accélérations. Je quitte la rue Giocondi. Sur ma gauche au niveau de la Caserne des Pompiers tout est calme. Je tourne à droite. J’avale la montée devant le Guerlosquet, je passe en vitesse devant le Presbytère et l’Église du Sacré-Cœur. Au croisement de la rue Henri Barbusse, je grille le feu rouge et j’ai le temps de voir arriver sur ma droite, la voiture de la Police qui met aussitôt son gyrophare et sa sirène et qui me prend en chasse. Je ne fais qu’une bouchée de la rue Ernest Renan devant la Banque de France. Je pense que j’ai dû griller aussi les feux du Carrefour de la Croix, sinon le rouge, au moins le feu orange. J’attaque le bas de la rue Jean Jaurès. À mi-côte, je vire à gauche dans la rue de l’Hôpital. Au bout de la rue, par chance, la porte de l’Hôpital est ouverte. Je rentre sans ralentir et je descends la petite venelle en pente raide jusqu’à la porte de la Maternité. Je m’arrête. La voiture de la Police est derrière moi. Je sors de ma voiture. Les policiers me barrent le passage. Je leur demande de me laisser passer car je porte un nouveau-né dans mes bras et c’est urgent. Ils avaient deviné la situation à partir du moment où ils m’avaient vu rentrer à l’hôpital. Ils s’effacent mais me suivent dans le hall.
Le Service de Nuit de la Maternité arrive aussitôt, la sage-femme. Tout le monde s’empresse autour du bébé. On l’aspire, on le désobstrue, je l’entends crier enfin, puis on le mesure, on le pèse, on fait sa toilette, on clampe correctement le cordon et on l’installe au chaud dans la « couveuse ». Je donne le nom des parents et leur adresse où j’estime devoir retourner d’urgence. Très obligeamment les policiers me demandent ce qu’ils peuvent faire. Je leur demande de m’ouvrir la voie jusqu’au domicile de la Maman. Gyrophare, et même la sirène à la sortie de l’Hôpital, on repart ! Je dois dire ici qu’à l’époque, en hiver, au milieu de la nuit, les rues de la ville étaient désertes. Mais bref, on repart en fanfare et cette fois-ci, je suis derrière la voiture de la Police. J’arrive au domicile. La délivrance n’a pas attendu mon retour. Je vérifie tant bien que mal le placenta. Je l’emballe pour l’examiner de plus près à la Maternité. La Maman est pâle, fatiguée, calme et va bien. Je la rassure pour son petit garçon. L’ambulance arrive et l’emmène. Alors que je m’apprête à l’accompagner jusqu’à l’Hôpital, au moment de monter dans ma voiture, l’un des policiers s’avance vers moi et a le temps de me dire :
– « Vous savez sans doute, Docteur, que vous venez de commettre quatre ou cinq infractions très graves au code de la route ! »
Je lui réponds : C’est possible ! Mais qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ?
– Ça, ça n’est pas notre problème. Enfin, bref, pour cette fois-ci ça passera. Mais, avec un sourire, il ajoute « Ne recommencez pas ça toutes les nuits !! … ».
Finalement, je rentre chez moi. Mon épouse se réveille et me dit, « Ça a été long ». Je lui dis « C’était un accouchement, je te raconterai ». Je m’allonge pour me reposer, mais après toutes ces péripéties, le sommeil tarde à venir.
En sortant de l’Intermarché, ils sont toujours là. Je dis au « prématuré » qui mesure maintenant 1.80 m pour une centaine de kilos : « Alors, tu as eu le temps de raconter ton histoire à tes amis ? J’espère que tu n’as pas oublié l’épisode des policiers ?
– Impossible ! Je l’ai entendu de mes parents combien de fois ! Mais malheureusement, maintenant, mon père est mort, et ma mère est à la Maison de Retraite. Mes parents vous aimaient beaucoup, Docteur …
– Moi aussi, et tu en étais sans doute la raison principale. Mais, comme cela me fait plaisir de te revoir …
Noël 2019
Joyeux Noël de Bucarest
Le cargo fit escale dans la baie de Douarnenez. Il avait à son bord un marin d’origine roumaine gravement malade, qui se plaignait de très vives douleurs abdominales. On craignait une crise d’appendicite aiguë. Le malade fut débarqué et admis en Chirurgie au Centre hospitalier de Douarnenez. Il fit l’objet d’un examen approfondi, d’un bilan complet et d’une surveillance attentive pendant 2 ou 3 jours. Aucune indication chirurgicale ne paraissait nécessaire. Dans l’immédiat, le malade fut transféré en Médecine. Cette décision ne fut pas du goût du Commandant de bord. Selon lui, ou le malade avait quelque chose, et on devait l’opérer, ou il n’avait rien et il devait être ramené à bord dans les plus brefs délais. Le bateau était attendu à Rotterdam où il devait être déchargé de sa cargaison en attendant d’être chargé d’une nouvelle cargaison et de partir pour une autre destination autour du monde. Il n’avait pas de temps à perdre. Time is money et la Compagnie Maritime commençait à manifester des signes d’impatience.
L’affaire n’était pas aussi simple. Le malade continuait à se plaindre du ventre. D’autres examens paraissaient nécessaires, et il était exclu pour l’instant de le renvoyer à bord. Le bateau courrait sinon le risque de devoir faire une autre escale à Brest, ou ailleurs. Le Commandant furieux décida de lever l’ancre et d’abandonner le marin roumain à Douarnenez. Celui-ci se sentit mieux aussitôt.
Le diagnostic partit alors dans une autre direction car il nous déclara tout de suite que si nous l’avions renvoyé sur le bateau, il se serait jeté par dessus bord. Le bateau était parti et ce n’était donc ni une menace ni une forme de chantage. C’était l’expression d’une douleur profonde dont nous avons pris la mesure lorsqu’il nous a raconté son histoire. Une histoire classique, banale d’un marin qui s’était embarqué un jour à Bucarest ou à Constanza sur la mer Noire pour subvenir aux besoins de sa famille. Il était marié, père de famille, sans travail, sans argent. Le cargo était à quai. Il s’est présenté et a été embauché aux cuisines. Cela faisait 3 ans. Il n’avait pas revu sa famille, ni sa femme, ni ses enfants depuis. Il travaillait sans relâche, sans jour de repos. Il avait fait des demandes de congés, mais le bateau ne passait jamais par Bucarest et on lui disait que les billets d’avion étaient chers. Il ne touchait qu’une partie de son salaire. Le solde lui serait versé à la fin de son contrat dont il n’avait aucune trace. C’était un homme terriblement déprimé qui avait trouvé ce moyen d’invoquer des douleurs abdominales pour échapper à cet enfer. Maintenant, il vivait dans la hantise d’être considéré comme guéri et renvoyé sur son cargo. Avant toute décision, on sollicita l’avis du psychiatre du service et de l’assistante sociale. Une fois le diagnostic suffisamment étayé, et dès qu’il se trouva vraiment mieux, on alerta le Consulat de Roumanie à Brest pour l’informer de la situation et pour que soit organisé son rapatriement.
Son dossier fut pris en considération. Un agent du Consulat se déplaça pour le rencontrer. Une somme d’argent lui fut remise pour qu’il puisse s’habiller et en fin de séjour, le Consulat lui remit un billet d’avion pour Bucarest. Impossible de décrire son soulagement et son bonheur. Il se sentait délivré de chaînes dont il était prisonnier depuis 3 ans et dont il se demandait s’il en serait libéré un jour. Nous avons partagé son bonheur de le voir rentrer chez lui.
L’histoire ne s’arrêta pas là car à Noël il nous a adressé une lettre de vœux et de remerciements et ceci pendant les 3 années qui suivirent. Les cartes étaient à mon nom mais ses vœux s’adressaient aux Infirmières et au personnel de tout le service. Cela nous a beaucoup touchés mais ne nous a pas étonnés car c’était un homme très attachant et charmant. Malheureusement, je n’ai pas conservé ces cartes. Elles ont dû finir épinglées à l’office où se réunit le personnel. Et puis un jour, à Noël nous n’avons plus reçu de carte de Bucarest. Nous l’avons regretté mais nous en avons conclu qu’il avait tourné la page et qu’il était guéri de ce cauchemar.
Le 1er mai 2019
Une Histoire belge

C’est une histoire authentique. J’aurais aimé en préciser certains détails, la date en particulier. J’ai tenté de faire des recherches mais je n’ai pas trouvé auprès des Archives départementales l’aide suffisante. L’histoire n’en valait peut-être pas la peine. A vous d’en juger.
Tout part d’une décision banale d’un homme d’une quarantaine d’années, d’origine belge, marié et père de deux enfants, d’aller passer ses vacances en Bretagne. On lui a recommandé le Finistère, le camping et la plage de Pors Ar Vag, dans le secteur de Plomodiern, dans le fond de la baie de Douarnenez. Il s’y rend avec toute sa petite famille. Il fait un temps magnifique, un été ensoleillé et très chaud comme on rêve d’en rencontrer en Bretagne. Ce n’était pas toujours le cas à l’époque.
Tout se passe bien et un après-midi, profitant de l’absence de sa femme et de ses enfants en train de faire la sieste ou partis en excursion à Océanopolis à Brest ou ailleurs, notre ami a l’idée d’aller à la plage et de faire un petit tour en mer dans le bateau gonflable de ses enfants. Il s’y installe. Il faut dire qu’à lui tout seul, il remplit l’habitacle. Et le voilà parti. Au départ tout se passe bien et il franchit sans problème les premières vagues près du bord. Mais au bout d’un certain temps, notre marin s’aperçoit que son embarcation s’éloigne insensiblement mais sérieusement de la côte. Il prend sa rame et se met à pagayer pour rejoindre le bord. Peine perdue, plus il rame et plus il a le sentiment que le bateau fait du sur-place et qu’il s’éloigne même de la côte. Il a du mal à le croire et redouble d’énergie. Mais rien n’y fait, bel et bien le bateau prend le large. Il se dit que les baigneurs vont s’en apercevoir et lui envoyer du secours. Il se dit qu’il va bien croiser quelques véliplanchistes … Rien ni personne, et le bateau continue de s’éloigner.
Depuis des années, au jour le jour, la météo nous a appris beaucoup de choses. Désormais nous savons qu’un anticyclone génère une circulation d’air qui tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. C’était bien le cas cet été là. L’anticyclone positionné sur l’Angleterre envoyait sur la Bretagne des vents d’Est que l’on appelle souvent ici des «vents de terre» qui soufflent d’Est en Ouest. Et c’est ainsi que partie du fond de la baie, la frêle embarcation de notre ami belge était poussée vers l’Ouest, c’est-à-dire vers le milieu de la Baie de Douarnenez. Comme un malheur n’arrive jamais seul, la marée était descendante, donnant naissance à un courant très fort, qui allait dans le même sens que le vent. La cause était sans appel et bien involontairement, notre ami réalisa qu’il s’était mis en grand danger. Que faire ? Quitter le bateau et rejoindre la côte à la nage ? Il était déjà loin et il ne s’en jugea pas capable. L’important était de se caler dans le fond du bateau et de rester calme. Il se dit qu’il finirait bien par échouer sur une plage accueillante, Pentrez, Sainte- Anne La Palud, Kervel, Trezmalaouen, ou le Ris mais elles étaient toutes derrière lui et il s’en éloignait à chaque instant. Et pourquoi pas le Port de Douarnenez, mais il était au Sud, et le vent ne le poussait pas dans cette direction. Seul, au milieu de nulle part, il sentit les angoisses le submerger. Il imagina une vague le soulever, renverser le bateau comme une crêpe et l’envoyer par le fond. Puis une autre inquiétude encore vint le tarauder. Et si le bateau venait à se dégonfler ? Il se sentit mal. Il vit s’ouvrir largement devant lui la sortie de la Baie de Douarnenez avec au loin le grand large. Il fut pris de panique.
Il était parti en maillot de bain, torse nu et sans casquette. On était au milieu de l’après-midi. Le soleil était au zénith, un véritable soleil de plomb. Il ne tarda pas à ressentir les premières sensations de cuisson sur tout le corps. De surcroît, le vent envoyait dans l’embarcation des embruns d’eau salée qui ne faisaient qu’augmenter encore les brûlures. Au fil des heures il eut l’impression d’être sur un véritable grill. Il chercha à se mettre à l’abri, à se blottir, mais il n’y avait aucune ombre possible. En même temps, l’air était frais et il se mit à trembler et à avoir froid. Il avait mal partout, il avait soif.
Il sentait par moment le sommeil le gagner. Il alternait les rêves et les cauchemars. Il se voyait en haute mer, accueilli en héros à l’Île de Sein, puis aux Antilles, et pour finir faisant une entrée triomphale dans le Port de New York. Il se réveillait en sursaut, craignant pour l’équilibre du bateau. Se succédaient ensuite les cauchemars plus angoissants les uns que les autres. Les heures s’écoulaient. Il avait dû partir vers quinze heures. Il avait traversé la Baie de Douarnenez en diagonale, et avait dû faire une dizaine de kilomètres en plein soleil. Il était maintenant entre dix-neuf et vingt heures. Le soleil était moins ardent et baissait à l’horizon. Il faisait encore jour mais le vent avait molli. La marée s’était inversée. Non seulement il ne sortait plus de la baie, mais il prenait la direction du Sud et voyait se rapprocher la côte de Poullan avec ses falaises ou en tout cas sa côte escarpée. Le canot pneumatique n’allait-il pas se déchirer sur ces rochers pointus ?
Le temps continuait de passer dans le calme du soir lorsque tout à coup, il entendit un bruit de moteur : teuf, teuf, teuf … Encore une hallucination sans doute. Il se souleva et vit nettement un bateau. C’était un bateau de pêche qui rentrait au Port de Douarnenez. Il leva un bras, appela mais aucun son ne sortit de sa bouche. Le bateau coupa le moteur et se rapprocha de lui. Des bras le soulevèrent avec précaution. On l’allongea dans le bateau et par radio, les marins alertèrent la Capitainerie pour qu’une ambulance se tienne sans faute sur le quai à leur arrivée. Il fut immédiatement transporté et admis aux urgences du Centre Hospitalier de Douarnenez. Il était en hypothermie sévère, gravement déshydraté et présentait de nombreuses brûlures sur tout le corps. Mais il était sauvé.
L’Histoire de ce touriste naufragé fit rapidement le tour de l’Hôpital et comme l’humour ne fait pas toujours bon ménage avec la charité chrétienne, chacun y allait d’une bonne blague belge. Le patient fut transféré en Médecine et le lendemain, à l’heure de la visite, on me donna tous les détails sur cette incroyable aventure. Je rentrai sans doute en souriant dans sa chambre lorsque je l’entendis me dire « Vous aussi, ça vous fait sourire ! ». Avec mon stéthoscope autour du cou, il avait eu vite fait de m’identifier. Je me rapprochai de lui, lui fis signe de rester calme et je l’examinai. Il avait des brûlures sur tout le corps, des énormes bulles sur le crâne, sur les épaules, les avant-bras, les cuisses. Ses joues étaient parcheminées, ses paupières sèches, ses lèvres crevassées. Je lui dis : « Vous avez surtout eu beaucoup de chance ». Il me serra la main très fort, et des larmes jaillirent de ses yeux boursouflés.
Il guérit dans des délais raisonnables. Il rentra chez lui en Belgique avec sa femme et ses enfants. Sont-ils jamais revenus ? J’en doute. J’ai pu donner des détails sur son calvaire car il me l’a raconté longuement. Je l’ai dit en commençant, des détails me manquent, et surtout les noms du bateau et des marins qui l’ont secouru et qui lui ont sauvé la vie. Porter secours fait partie de l’ADN des marins. Nous connaissons en ce moment, à Paris et dans certaines grandes villes de France, des temps de violence, de haine et de honte, mais il y aura heureusement toujours des sauveteurs en mer.
Le 1er mai 2019
Visites de nuit
A cette époque, les visites à domicile faisaient partie du quotidien des médecins, les visites de jour mais aussi les visites de nuit. Voici deux souvenirs.
Une nuit, vers 2 heures ou 3 heures du matin, j’ai été appelé en visite rue Gabriel Le Signe. C’est une rue à l’écart du centre ville, qui longe l’ancienne voie de chemin de fer. J’y avais des malades que je visitais régulièrement mais le nom et le numéro qui m’avaient été donnés par téléphone ne me disaient rien. Je me réveille. Je m’habille et je me rends à l’adresse indiquée. J’avais l’habitude de demander aux gens qui m’appelaient la nuit de laisser une lumière allumée pour pouvoir me repérer plus facilement et plus vite, surtout pour les visites à la campagne. La rue Gabriel Le Signe est une rue à sens unique, à flanc de colline, pas facile d’accès. Les maisons ne sont construites que d’un côté de la route, de l’autre côté ce sont des talus. La rue n’était pas très éclairée. Je l’arpente dans sa partie basse, puis dans sa partie haute. A l’adresse indiquée pas de lumière, pas de bruit, pas de présence. A l’évidence, il n’y avait personne nulle part. La rue était silencieuse et il n’existait a priori aucun indice qui me fasse penser à un quelconque guet-apens … ?J’étais perplexe me demandant ce que je devais faire car j’avais tout de même reçu un appel pour une urgence. Peut-être m’avait-on donné une mauvaise ou une fausse adresse ?
Je m’apprêtais à rentrer chez moi et finalement je pris la décision de me rendre au Commissariat de Police. Le fonctionnaire de garde me demanda ce qui m’arrivait. Je lui dis que j’étais médecin, que j’avais reçu un appel de nuit pour une urgence, et qu’à l’adresse indiquée, il n’y avait personne. Je lui indiquais que je voulais en faire la déposition sur le registre de la « Main courante » pour le cas où l’on m’accuserait de ne pas m’être déplacé, le délit de non-assistance pouvant avoir des conséquences juridiques graves. Il me donna le registre où je fis mention de mon déplacement de nuit puis je rentrai chez moi. Mon épouse, comme à chaque fois, me demanda si c’était grave et si ça s’était bien passé. Je lui répondis que je n’avais trouvé personne. Elle marqua un temps d’étonnement, et je lui expliquai que je m’étais rendu au Commissariat pour le signaler.
On ne m’a jamais rappelé ensuite ni dans la nuit ni le lendemain matin. J’appelai le Commissariat pour savoir si quelqu’un était venu se plaindre ou renouveler l’appel. Rien. Je demandai à l’Hôpital s’ils avaient eu dans la nuit une urgence pour un malade répondant au nom que j’avais eu par téléphone. Rien non plus. C’est donc une visite de nuit dont je ne connaîtrai jamais ni la raison ni la suite. A -t- on voulu me faire une « blague » ? J’ai du mal à le croire, mais sait-on jamais ? … En tout cas, je ne passe jamais dans la rue Gabriel Le Signe sans y penser.
Voici la seconde histoire.
J’étais installé depuis peu à Douarnenez, lorsque je fus appelé une nuit pour une visite urgente. Au téléphone, la personne précisa tout de suite qu’ils avaient déjà appelé leur médecin habituel à plusieurs reprises mais qu’il était connu pour ne pas se déplacer la nuit. En conséquence, ils se permettaient de me déranger car la malade, leur mère, souffrait vraiment beaucoup. Je me levai donc et je partis aussitôt.
La maison se trouvait à distance de Douarnenez sur la route de Pouldergat qui, à l’époque, était une route étroite. Dès la sortie de Douarnenez, je reconnus devant moi, la voiture de mon confrère qui avait finalement décidé de se lever. Je restai derrière lui et je vis qu’il mettait son clignotant pour s’arrêter à l’adresse prévue. Je m’arrêtais également. Il me salua très cordialement en me disant : « Tu as été appelé toi aussi ! ». La famille était sortie de la maison, terriblement gênée de voir les deux voitures et les deux médecins devant leur porte. Ces braves gens ne savaient plus que dire. Je dis à mon confrère d’aller s’occuper de la malade car il était leur médecin de famille et je rassurai tout le monde en disant qu’il n’y avait pas de problème. Mais de l’intérieur de la maison, la malade consciente de la situation et de la gêne provoquée par la présence de deux médecins, jugea utile d’intervenir pour mettre tout le monde à l’aise. Du fond de son lit, nous l’avons entendu crier : « Ils peuvent rentrer tous les deux … Ils ne seront pas trop de deux !!! … ». Elle avait une très forte crise de colique hépatique et fut opérée de la vésicule biliaire dans la journée. Je reçus sans doute dans les jours qui ont suivi un beau bouquet de fleurs en guise d’excuses et de remerciements.
Ces histoires témoignent des aléas auxquels exposaient les visites de nuit, et il doit en exister certainement bien d’autres versions. Aujourd’hui c’est beaucoup plus simple, vous faites le 15, et vous voyez arriver les Pompiers. Heureusement qu’ils sont là …
Le 08 mars 2019
Juif … ?
J’étais en consultation lorsqu’est parvenu au Cabinet médical, un appel pour une visite qualifiée d’extrêmement urgente. La secrétaire me signale que le patient ne figure pas à notre fichier médical et qu’aucune information n’a été fournie au téléphone sur la nature de l’urgence. Je prends ma sacoche et me rends aussitôt à l’adresse indiquée.
Dans l’escalier de l’immeuble, il y a du monde, dans un certain état d’effervescence et d’inquiétude. Je monte les étages, je sonne, la porte s’ouvre et un individu que je ne connais pas, m’accueille en me poussant brutalement dans une pièce plutôt obscure, qui m’apparaît être la salle à manger de l’appartement. Il avance une chaise et m’ordonne de m’asseoir. En réalité, je réalise que je suis assis à la table de la salle à manger, avec trois ou quatre autres personnes qui sont là, assises, immobiles et en silence. Deux sont des femmes. Je ne connais personne.
L’individu est un homme d’une quarantaine d’années, en proie à une très vive agitation. Il me demande furieux ce que je suis venu faire chez lui. Je lui réponds que je suis venu parce que l’on m’a appelé. « Qui ? » hurle-t-il. Je lui réponds que je l’ignore. Il me demande alors : « Qui êtes-vous ? ». Je lui dis calmement : « Je suis médecin ».
– « Quel médecin ?
– Je suis le Docteur Baldous
– Connais pas … Baldous, c’est pas un nom breton, mais ça, c’est un nom juif !
– Ma foi, non … je ne suis pas juif », et comme il insiste de façon désagréable et brutale, je lui rétorque que je ne suis ni belge, ni corse, ni juif. Cette réponse, loin de le satisfaire, le fait littéralement sortir de ses gonds. Il se rapproche alors de moi, et donne un violent coup de poing sur la table qui fait sursauter tout le monde et s’écrie en me menaçant « Parce que moi, je n’aime pas les juifs ! ».
À partir de là, il m’apparaît nettement qu’il vaut mieux ne pas entraver son délire, qui se limite pour l’instant à une agressivité verbale. Il n’a pas de couteau, et n’a pas d’arme. Il est comme un lion en cage tournant autour de la table en s’en prenant à chacun de nous à tour de rôle. Il nous soupçonne de le surveiller, de l’épier, nous, mais aussi le Maire, le Conseil municipal et même certains de ses voisins. Mais on n’est pas prêt de l’avoir, il ne se laissera pas faire et ajoute menaçant qu’il n’a peur de personne.
La situation ressemble à une prise d’otages classique par un malade mental. Le temps passe. J’ai eu le temps de m’habituer à l’obscurité et de repérer les lieux. Je me demande comment sortir de là. Je ne vois guère de solution, lorsque tout d’un coup, la porte d’entrée s’ouvre à grand fracas et apparaissent deux policiers et deux infirmiers du corps des sapeurs-pompiers. Ils font irruption dans la salle à manger, s‘emparent de l’individu qui hurle et se débat. Il est neutralisé et disparaît. Nous nous retrouvons libres. Je prends mes affaires sans attendre et je retourne à ma consultation.
J’appelle aussitôt l’Hôpital psychiatrique de Quimper pour savoir comment on a pu laisser sortir le matin même, un malade en état de démence aiguë et qui vient de nous séquestrer pendant trois quarts d’heure. Le médecin me répond que le patient était calme le matin et qu’il présentait un état normal. Je m’attendais à ce genre de réponse et je n’insiste pas. Mon intention était de porter à la connaissance de ce médecin cet incident pour qu’il en tire à l’avenir les conséquences.
Ce qui m’a troublé dans cette histoire qui aurait pu être grave, c’est d’avoir été obligé en quelque sorte de me défendre d’être juif. Je ne suis pas juif. Je n’y suis pour rien. C’est le hasard mais c’est un fait. Cependant voilà, on vous demande « Vous êtes belge ou vous êtes suisse ? » vous répondez « Non » et c’est tout. Mais si on vous demande avec plus ou moins d’insistance, « Vous êtes juif ? » vous sentez tout de suite qu’il y a dans cette demande comme un soupçon ou une accusation implicite, et vous éprouvez le besoin de vous en défendre. J’en ai fait l’expérience, dans une circonstance très particulière, j’en conviens, mais sur le moment et longtemps après, cela m’a mis mal à l’aise. J’étais adolescent, lorsque, après la guerre, j’ai appris le sort qui avait été réservé aux juifs par le régime nazi. L’horreur absolue et une honte pour l’humanité toute entière. Mais l’antisémitisme n’est pas mort. Il gît même encore dans le tréfonds du cerveau de certains malades mentaux. C’est dire la profondeur du mal. Nous n’en sommes pas encore guéris.
« C’est grave, Docteur …? » – « Oui ».
Le 13 février 2019
« Michel »
C’était en août 1965, peu de temps avant notre installation à Douarnenez. Je faisais un remplacement à Ploudalmezeau, comme tous les étés. Quelques jours avant la fin de ce remplacement, parvient au Cabinet médical, un appel téléphonique pour un accouchement, non prévu à mon programme.
Je me rends à l’adresse indiquée et j’arrive devant une ferme cossue où m’attend une femme manifestement en douleurs. Elle est surprise et un peu déçue de ne pas trouver son médecin de famille, qui l’avait suivie pendant sa grossesse et les précédentes, car elle attendait son cinquième enfant. Mais le temps presse, et sans attendre, nous prenons la route de Saint-Renan à une vingtaine de kilomètres au moins, où se trouve la Maternité. En chemin, et entre deux contractions, elle a le temps de me raconter qu’elle a déjà quatre filles et qu’elle appréhende d’en avoir une cinquième. Elle a peur de décevoir gravement son mari qui souhaiterait tellement avoir un garçon. Je précise ici qu’à cette époque, l’échographie n’existait pas.
Nous arrivons. Elle rentre immédiatement en salle de travail et accouche facilement et dans des délais très brefs, d’un superbe garçon ! C’est évidemment une explosion de joie de sa part et de la part de son mari, et je me retrouve être le héros d’un évènement heureux qui m’est attribué alors que je n‘y suis évidemment pour rien. Dans l’euphorie du moment, ils m’annoncent qu’ils souhaiteraient donner mon prénom à leur fils. Je m’éclipse en les remerciant pour cette délicate attention mais en leur conseillant de bien réfléchir avant de prendre leur décision. Ils réitèrent leur demande le lendemain et le jour suivant. J’explique une fois de plus que leur proposition est très sympathique mais qu’ils ne doivent pas se sentir obligés. Devant ma résistance, au bout d’un moment la jeune femme me lance : « Mais, Docteur, on a l’impression que ça ne vous fait pas plaisir ».
Je réponds qu’au contraire, j’en suis très touché mais je leur dis tout d’un coup : « C’est peut-être à vous que ça ne ferait pas plaisir ».
Interdite, la jeune femme me regarde et me demande : « Pourquoi ? Comment vous appelez-vous ? »
Je réponds : « Je m’appelle Alexis ».
« Ah oui !! » … et se retournant alors vers son mari, elle lui dit : « Alors, dans ces conditions, on l’appellera Michel » … !!!
PS : Les prénoms obéissent à des modes. Depuis cette histoire, le prénom Alexis est devenu très « tendance ». A l’époque, il ne l‘était pas ; et même pas du tout … Mais que l’on se rassure, je n’en ai jamais souffert. Au contraire !

Nadine
Nous avions fait le projet de faire un dîner de crêpes en famille, et mes enfants m’avaient recommandé d’aller chez Nadine, près des Halles. Je m’y rends dès le matin ; je la rencontre. Elle me confirme que c’est possible, me fait préciser le nombre de personnes, l’heure, et concernant la réservation, elle me demande : « À quel nom ? ». Je lui réponds « Baldous ».
Elle s’arrête, le stylo en l’air, et me dit : « Baldous … Baldous … Dans le temps, il y a eu à Douarnenez, un médecin qui portait ce nom-là. Oui ! Le Docteur Baldous … ».
Elle me regarde alors et me demande à brûle-pourpoint : « Vous l’avez connu ? ».
Surpris par la question, et après un court silence, je lui réponds : « Oh ! Oui ! Je l’ai très bien connu. C’est moi ! ».
Interloquée et aussi surprise que si elle avait vu apparaître Laennec, elle me bredouille des excuses, et comme j’éclate de rire, elle rit à son tour. Je me suis demandé un instant si elle a été vraiment convaincue de ma réponse. Le hasard a voulu que rentre à la crêperie, à ce moment-là, une personne que je connaissais très bien. Et j’ai bien senti que Nadine lui demandait en douce, si j’étais bien le Docteur Baldous.
Nous en avons bien ri le soir lorsque nous sommes allés dîner et c’est un souvenir savoureux qui reste entre nous. Il m’a tout de même fait réaliser, comme on dit, que le temps passe.
Été 2016

Les aléas d’un forceps …
C’était l’époque héroïque – et elle a duré des siècles – où l’échographie n’existait pas, ni la péridurale, la « péri » comme disent maintenant les jeunes femmes branchées. Pour les femmes et les médecins, les grossesses et les accouchements comportaient une marge d’inconnu que les obstétriciens d’aujourd’hui ne peuvent imaginer. Ils savent pratiquement tout à l’avance, nous ne savions rien.
La jeune femme dont il va être question ici approchait de la trentaine et attendait son premier enfant. Tout, a priori, laissait prévoir un accouchement normal, mais après un début de travail très tonique, la progression tout d’un coup s’arrêta net. Malgré ses efforts et ceux de la sage-femme, et après un délai d’attente raisonnable, il devint évident qu’un forceps s’imposait. On appelle le Médecin anesthésiste qui en prévision d’une courte anesthésie, demande à la jeune femme si elle a un appareil dentaire, ce qui était le cas. Elle le donne et on le met en sécurité. Le forceps est mis en place et permet de débloquer la situation. La fin de l’accouchement se passe très bien et se termine par la naissance d’un très bel enfant.
Son mari est appelé à venir voir son bébé et son épouse. Elle se réveille et lui fait un sourire édenté. Et là, il reste interdit et dans un deuxième temps, se rue sur moi furieux, et me lance : « Dites-moi, Docteur, votre forceps a été efficace, mais vous voudrez bien m’expliquer comment vous avez fait pour casser les dents de ma femme … !!?? … ».
Je tombe des nues sans comprendre les raisons de cette agression, et l’anesthésiste qui était toujours là, vole à mon secours et lui explique que l’on va remettre à sa femme son appareil dentaire. Le mari en question ignorait que sa femme en avait un …
La fête était gâchée. La faute à qui ? Pas à moi en tout cas et pourtant je ne les revis plus.
Pâques 2019
Un métro peut en cacher un autre
C’était en 1954, je crois. J’étais en Faculté de Sciences à Paris dans l’année préparatoire à l’entrée en Faculté de Médecine. J’avais un ami qui partageait avec moi l’amour de la Musique Classique. C’était en réalité pour nous une phase d’initiation et une véritable découverte. Nous allions au Quartier Latin fureter chez les disquaires, et à hauteur de notre budget, revenir avec un microsillon était un vrai bonheur. Cet ami habitait en banlieue. Un jour après un après-midi d’emplettes, voyant l’heure de son train arriver, il me dit : « Maintenant il faut que je file si je veux arriver à temps chez moi ». On était arrivé au bas du « Boul’Mich » comme l’on disait alors. Nous avisons une station de métro. C’était la station de métro Cluny ou peut-être la station Saint-Michel, je ne suis plus très sûr. Cette station en tout cas était désaffectée et transformée en toilettes publiques. On se quitte, mon ami dévale à toute vitesse l’escalier d’accès. Au bas des marches, la préposée à la propreté des lieux, voyant un individu descendre en trombe, jugea qu’il avait certainement un besoin très pressant. Elle quitte rapidement la petite table où elle se tenait habituellement et se précipite à l’intérieur pour ouvrir la porte d’un WC libre. Lui, surpris, réalisant la situation ne peut rien faire d’autre que de rentrer dans ce WC dont la dame ferme aimablement la porte derrière lui. Pris au piège, il y reste un temps raisonnable, ressort en tirant la chasse d’eau et paye pour le « service ». Je l’attendais en haut des escaliers. Nous étions morts de rire. Évidemment il a loupé son train.
Les suppos …
J’étais encore nouveau à Douarnenez lorsque je fus appelé en visite rue Camelinat pour une bronchite sévère. La malade était une femme d’une soixantaine d’années au moins, célibataire, ancienne ouvrière d’usine et qui avait son franc-parler, ce qui est souvent la marque des femmes de Douarnenez, et je devrais ajouter, ce qui les rend parfois redoutables et très souvent sympathiques. On s’y fait. Avant même que je l’examine, je sentis qu’elle m’examinait la première et me jugeait sûrement un peu jeune pour me montrer son anatomie. Mais elle toussait beaucoup et était très gênée sur le plan respiratoire, et finalement je pus l’interroger et l’examiner correctement.
Je fais mon ordonnance. Je tiens compte de ses exigences, le moins de médicaments possible, ni par la bouche, ni en piqûres … ! enfin c’était compliqué et de guerre lasse et comme cela se prescrivait assez fréquemment à l’époque, je lui prescris aussi des suppositoires … Mes écritures terminées, elle s’empare de mon ordonnance pour avoir des explications et des précisions, et lorsqu’elle arrive au chapitre des suppositoires, elle m’annonce de façon tout à fait catégorique : « Ça, mon ami, je vais vous dire ! Personne ne m’a jamais rien mis dans cet endroit-là et c’est pas vous qui commencerez !! ».
Sans commentaire.
Années 70
